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Tout ce qu’il doit coûter un jour.
Mon cœur n’aurait connu Vincennes ni souffrance,
S’il n’eût connu le pur amour.

Les opinions des hommes dépendent des temps, des lieux, et des circonstances. Tandis qu’on tenait en prison Mme Guyon, qui avait épousé Jésus-Christ dans une de ses extases, et qui depuis ce temps-là ne priait plus les saints, disant que la maîtresse de la maison ne devait pas s’adresser aux domestiques ; dans ce temps-là, dis-je, on sollicitait à Home la canonisation de Marie d’Agréda, qui avait eu plus de visions et de révélations que tous les mystiques ensemble, et, pour mettre le comble aux contradictions dont ce monde est plein, on poursuivait en Sorbonne cette même d’Agréda, qu’on voulait faire sainte en Espagne. L’université de Salamanque condamnait la Sorbonne, et en était condamnée. Il était difficile de dire de quel côté il y avait le plus d’absurdité et de folie ; mais c’en est sans doute une très-grande d’avoir donné à toutes les extravagances de cette espèce le poids qu’elles ont encore quelquefois[1].

Bossuet, qui s’était longtemps regardé comme le père et le maître de Fénelon, devenu jaloux de la réputation et du crédit de son disciple, et voulant toujours conserver cet ascendant qu’il avait pris sur tous ses confrères, exigea que le nouvel archevêque de Cambrai condamnât Mme Guyon avec lui, et souscrivît à ses instructions pastorales. Fénelon ne voulut lui sacrifier ni ses sentiments ni son amie. On proposa des tempéraments ; on donna des promesses : on se plaignit de part et d’autre qu’on avait manqué de parole. L’archevêque de Cambrai, en partant pour son diocèse, fit imprimer à Paris son livre des Maximes des Saints, ouvrage dans lequel il crut rectifier tout ce qu’on reprochait à son amie, et développer les idées orthodoxes des pieux contemplatifs qui s’élèvent au-dessus des sens, et qui tendent à un état de perfection où les âmes ordinaires n’aspirent guère. L’évêque de Meaux et ses amis se soulevèrent contre le livre. On le dénonça au roi comme s’il eût été aussi dangereux qu’il était peu intelligible. Le roi en parla à Bossuet, dont il respectait la réputation

  1. Ce qu’on aurait dû remarquer, c’est que le quiétisme est dans Don Quichotte. Ce chevalier errant dit qu’on doit servir Dulcinée, sans autre récompense que celle d’être son chevalier. Sancho lui répond : « Con esta manera de amor he oido yo predicar que se ha de amar á nuestro señor por si solo, sinque nos mueva esperanza de gloria, ó temor de pena : aunque yo le querria amar y servir por lo que pudiese. » (Note de Voltaire.)