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pas d’abord le rendre public. On l’imprima, dit-on, malgré lui. L’Église de France resta divisée en deux factions : les acceptants, et les refusants. Les acceptants étaient les cent évêques qui avaient adhéré sous Louis XIV avec les jésuites et les capucins. Les refusants étaient quinze évêques et toute la nation. Les acceptants se prévalaient de Rome ; les autres, des universités, des parlements, et du peuple. On imprimait volume sur volume, lettres sur lettres. On se traitait réciproquement de schismatique et d’hérétique.

Un archevêque de Reims du nom de Mailly[1], grand et heureux partisan de Rome, avait mis son nom au bas de deux écrits que le parlement fit brûler par le bourreau. L’archevêque, l’ayant su, fit chanter un Te Deum pour remercier Dieu d’avoir été outragé par des schismatiques. Dieu le récompensa ; il fut cardinal. Un évêque de Soissons nommé Languet[2], ayant essuyé le même traitement du parlement, et ayant signifié à ce corps que « ce n’était pas à lui à le juger, même pour un crime de lèse-majesté », il fut condamné à dix mille livres d’amende. Mais le régent ne voulut pas qu’il les payât, de peur, dit-il, qu’il ne devînt cardinal aussi.

Rome éclatait en reproches ; on se consumait en négociations : on appelait, on réappelait, et tout cela pour quelques passages, aujourd’hui oubliés, du livre d’un prêtre octogénaire, qui vivait d’aumônes à Amsterdam[3].

La folie du système des finances[4] contribua plus qu’on ne croit à rendre la paix à l’Église. Le public se jeta avec tant de fureur dans le commerce des actions ; la cupidité des hommes, excitée par cette amorce, fut si générale que ceux qui parlèrent ensuite de jansénisme et de bulle ne trouvèrent personne qui les écoutât. Paris n’y pensait pas plus qu’à la guerre qui se faisait sur les frontières d’Espagne. Les fortunes rapides et incroyables qu’on faisait alors, le luxe et la volupté portés au dernier excès, imposèrent silence aux disputes ecclésiastiques ; et le plaisir fit ce que Louis XIV n’avait pu faire.

Le duc d’Orléans saisit ces conjonctures pour réunir l’Église de France. Sa politique y était intéressée. Il craignait des temps où il aurait eu contre lui Rome, l’Espagne, et cent évêques[5].

  1. François de Mailly, né en 1658, cardinal en 1719, mort en 1721.
  2. C’est l’auteur de la Vie de Marie Alacoque. (G. A.)
  3. Voyez le Catalogue des écrivains, tome XIV, page 117 ; et, ci-dessus, pages 50-52.
  4. Le système de Law.
  5. On verra, dans le Siècle de Louis XV, quelles furent les vues et la conduite du régent. (Note de Voltaire.)