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faits à ces infortunés. Jamais on ne trahit plus lâchement la justice ; jamais la bassesse ne sacrifia plus indignement au pouvoir. On a retrouvé, en 1768, à la maison professe des jésuites, ces monuments de leur tyrannie, après qu’ils ont porté enfin la peine de leurs excès, et qu’ils ont été chassés par tous les parlements du royaume, par les vœux de la nation, et enfin par un édit de Louis XV[1].

(1715) Le Tellier osa présumer de son crédit jusqu’à proposer de faire déposer le cardinal de Noailles dans un concile national. Ainsi un religieux faisait servir à sa vengeance son roi, son pénitent, et sa religion.

Pour préparer ce concile, dans lequel il s’agissait de déposer un homme devenu l’idole de Paris et de la France, par la pureté de ses mœurs, par la douceur de son caractère, et plus encore par la persécution, on détermina Louis XIV à faire enregistrer au parlement une déclaration par laquelle tout évêque qui n’aurait pas reçu la bulle purement et simplement serait tenu d’y souscrire, ou qu’il serait poursuivi suivant la rigueur des canons. Le chancelier Voisin, secrétaire d’État de la guerre, dur et despotique, avait dressé cet édit. Le procureur général d’Aguesseau, plus versé que le chancelier Voisin dans les lois du royaume, et ayant alors ce courage d’esprit que donne la jeunesse, refusa absolument de se charger d’une telle pièce. Le premier président de Mesme en remontra au roi les conséquences. On traîna l’affaire en longueur. Le roi était mourant : ces malheureuses disputes troublèrent et avancèrent ses derniers moments. Son impitoyable confesseur fatiguait sa faiblesse par des exhortations continuelles à consommer un ouvrage qui ne devait pas faire chérir sa mémoire. Les domestiques du roi, indignés, lui refusèrent deux fois l’entrée de la chambre ; et enfin ils le conjurèrent de ne point parler au roi de constitution. Ce prince mourut, et tout changea.

Le duc d’Orléans, régent du royaume, ayant renversé d’abord toute la forme du gouvernement de Louis XIV, et ayant substitué des conseils aux bureaux des secrétaires d’État, composa un conseil de conscience dont le cardinal de Noailles fut le président. On exila le jésuite Le Tellier, chargé de la haine publique, et peu aimé de ses confrères.

Les évêques opposés à la bulle appelèrent à un futur concile, dût-il ne se tenir jamais. La Sorbonne, les curés du diocèse de Paris, des corps entiers de religieux, firent le même appel ; et enfin le cardinal de Noailles fit le sien en 1717, mais il ne voulut

  1. Novembre 1764.