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retira à Amsterdam, où il est mort en 1719[1], dans une extrême vieillesse, après avoir contribué à former en Hollande quelques églises de jansénistes, troupeau faible qui dépérit tous les jours.

Lorsqu’on l’arrêta, on saisit tous ses papiers, et on y trouva tout ce qui caractérise un parti formé. Il y avait une copie d’un ancien contrat fait par les jansénistes avec Antoinette Bourignon[2], célèbre visionnaire, femme riche, et qui avait acheté, sous le nom de son directeur, l’île de Nordstrand près du Holstein pour y rassembler ceux qu’elle prétendait associer à une secte de mystiques qu’elle avait voulu établir.

Cette Bourignon avait imprimé à ses frais dix-neuf gros volumes de pieuses rêveries, et dépensé la moitié de son bien à faire des prosélytes. Elle n’avait réussi qu’à se rendre ridicule, et même avait essuyé les persécutions attachées à toute innovation. Enfin, désespérant de s’établir dans son île, elle l’avait revendue aux jansénistes, qui ne s’y établirent pas plus qu’elle.

On trouva encore dans les manuscrits de Quesnel un projet plus coupable, s’il n’avait été insensé. Louis XIV ayant envoyé en Hollande, en 1684, le comte d’Avaux, avec plein pouvoir d’admettre à une trêve de vingt années les puissances qui voudraient y entrer, les jansénistes, sous le nom des disciples de saint Augustin, avaient imaginé de se faire comprendre dans cette trêve, comme s’ils avaient été en effet un parti formidable, tel que celui des calvinistes le fut si longtemps. Cette idée chimérique était demeurée sans exécution ; mais enfin les propositions de paix des jansénistes avec le roi de France avaient été rédigées par écrit. Il y avait eu certainement dans ce projet une envie de se rendre trop considérables ; et c’en était assez pour être criminels. On fit aisément croire à Louis XIV qu’ils étaient dangereux.

Il n’était pas assez instruit pour savoir que de vaines opinions de spéculation tomberaient d’elles-mêmes si on les abandonnait à leur inutilité. C’était leur donner un poids qu’elles n’avaient point que d’en faire des matières d’État. Il ne fut pas difficile de faire regarder le livre du P. Quesnel comme coupable, après que l’auteur eut été traité en séditieux. Les jésuites engagèrent le roi lui-même à faire demander à Rome la condamnation du livre. C’était en effet faire condamner le cardinal de Noailles, qui en avait été le protecteur le plus zélé. On se flattait avec raison que le pape Clément XI mortifierait l’archevêque de Paris. Il faut

  1. Le 2 décembre, âgé de quatre-vingt-six ans.
  2. Née à Lille, morte en 1680 ; Voltaire en a parlé tome XIV, page 32.