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ÉDIT DE NANTES.


nion meilleure que la mienne, je la change fort volontiers. Il n’y a pas un de vous que quand il me voudra venir trouver et me dire : Sire, vous faites telle chose qui est injuste à toute raison , que je ne l’écoute fort volontiers. Il s’agit maintenant de faire cesser tous faux bruits ; il ne faut plus faire de distinction de catholiques et de huguenots ; il faut que tous soient bons Français, et que les catholiques convertissent les huguenots par l’exemple de leur bonne vie ; mais il ne faut pas donner occasion aux mauvais bruits qui courent par tout le royaume : vous en êtes la cause pour n’avoir pas promptement vérifié l’édit.

« J’ai reçu plus de biens et plus de grâces de Dieu que pas un de vous ; je ne désire en demeurer ingrat ; mon naturel n’est pas disposé à l’ingratitude, combien qu’envers Dieu je ne puisse être autre ; mais pour le moins j’espère qu’il me fera la grâce d’avoir toujours de bons desseins. Je suis catholique, et ne veux que personne en mon royaume affecte d’être plus catholique que moi. Être catholique par intérêt, c’est ne valoir rien.

« On dit que je veux favoriser ceux de la religion, et on veut entrer en quelque méfiance de moi. Si j’avais envie de ruiner la religion catholique, je ne m’y conduirais de la façon ; je ferais venir vingt mille hommes ; je chasserais d’ici ceux qu’il me plairait ; et quand j’aurais commandé que quelqu’un sortît, il faudrait obéir. Je dirais : Messieurs les juges, il faut vérifier l’édit, ou je vous ferai mourir ; mais alors je ferais le tyran. Je n’ai point conquis ce royaume par tyrannie, je l’ai par nature et par mon travail.

« J’aime mon parlement de Paris par-dessus tous les autres ; il faut que je reconnaisse la vérité, que c’est le seul lieu où la justice se rend aujourd’hui dans mon royaume ; il n’est point corrompu par argent. En la plupart des autres, la justice s’y vend ; et qui donne deux mille écus l’emporte sur celui qui donne moins : je le sais, parce que j’ai aidé autrefois à boursiller ; mais cela me servait à des desseins particuliers.

« Vos longueurs et vos difficultés donnent sujet de remuements étranges dans les villes. L’on a fait des processions contre l’édit, même à Tours, où elles se devaient moins faire qu’en tout autre lieu, d’autant que j’ai fait celui qui en est archevêque. L’on en fait aussi au Mans pour inspirer aux juges à rejeter l’édit ; cela ne s’est fait que par mauvaise inspiration. Empêchez que de telles choses n’arrivent plus. Je vous prie que je n’aie plus à parler de cette affaire, et que ce soit pour la dernière fois : faites-le, je vous le commande et vous en prie. »

Malgré ce discours du roi, les préjugés étaient encore si forts