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ASSEMBLÉE DE ROUEN.


suivre, me mettre en tutelle entre vos mains : c’est une envie qui ne prend guère aux rois, aux barbes grises et aux victorieux ; mais mon amour pour mes sujets me fait trouver tout possible et tout honorable[1]. »

La grande affaire était l’arrangement des finances ; les états, très-peu instruits de cette partie du gouvernement, imaginèrent des règlements nouveaux, et se trompèrent en tout. Ils supposèrent d’abord que le revenu du roi allait à trente millions de ce temps-là par année. Ils proposèrent de partager cette somme en deux : l’une serait absolument à la disposition du roi, et l’autre serait perçue et administrée par un conseil que les états établiraient. C’était en effet mettre Henri IV en tutelle. Il accepta, par le conseil de Sully, cette proposition peu convenable, et crut ne devoir en confondre les auteurs qu’en les chargeant d’un fardeau qu’ils étaient incapables de porter. Le cardinal de Gondi, archevêque de Paris, qui avait le premier ouvert cet avis, fut mis à la tête du nouveau conseil des finances, qui devait recouvrer les prétendus quinze millions, la moitié des revenus de l’État.

Gondi était originaire d’Italie ; il gouvernait sa maison avec une économie qui approchait de l’avarice : ces deux raisons le firent croire capable de gérer la partie la plus difficile des finances d’un grand royaume ; les états et lui oublièrent combien il était indécent à un archevêque d’être financier.

Sully[2], le plus jeune du conseil des finances du roi, mais le plus capable, comme il était le plus honnête homme, recouvra en peu de temps, et par son infatigable industrie, la partie des finances qui lui était confiée. Le conseil de l’archevêque, qui s’était donné le titre de conseil de raison, ne put, dit Sully, rien faire de raisonnable. Les semaines, les mois s’écoulèrent sans qu’ils pussent recouvrer un denier. Ils furent enfin obligés de renoncer à leur administration, de demander pardon au roi, et d’avouer leur ignorance. Ce fut cette aventure qui détermina Henri IV à donner à Sully la surintendance des finances.


  1. Voyez le chapitre CLXXIV de l’Essai sur les Mœurs.
  2. Il n’était alors que marquis de Rosny. (Note de Voltaire.)