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CHAPITRE XXXIV.


devoir, il n’eût jamais reconnu un roi qui priait Dieu en français et qui communiait sous les deux espèces.

Henri IV prit enfin le seul parti qui convenait à sa situation et à son caractère. Il fallait se résoudre ou à passer sa vie à mettre la France à feu et à sang et hasarder sa couronne, ou ramener les esprits en changeant de religion. Des princes d’Orange, des Gustave-Adolphe, des Charles XII, n’auraient pas pris ce dernier parti. Il y aurait eu plus d’héroïsme à être inflexible ; mais il y avait plus d’humanité et plus de politique dans sa condescendance. Cette négociation, qui coûtait à son cœur, mais qui était nécessaire, avait commencé dès la première tenue des états. Les évêques de son parti avaient eu de fréquentes conférences à Surêne avec les évêques du parti contraire, en dépit de la Sorbonne, qui avait eu l’insolence et la faiblesse de déclarer ces conférences illicites et impies, mais dont les décrets, méprisés par tous les bons citoyens, commençaient à l’être par la populace même.

On tint donc ces conférences pendant une trêve accordée par le roi et le duc de Mayenne. Les deux principaux chefs de ces négociations étaient Renaud, archevêque de Bourges, du côté du roi, et d’Espinac, archevêque de Lyon, pour la Ligue : le premier, respectable par sa vertu courageuse ; l’autre, diffamé par son inceste avec sa sœur, et odieux par ses intrigues.

Quelques détours que d’Espinac pût prendre pour s’opposer à la conclusion, quelques efforts qu’il tentât avec ses collègues pour intimider les évêques royalistes, quelques menaces qu’il fît de la part du pape, il ne put empêcher les prélats du parti du roi de recevoir son abjuration. L’Espagne, Rome, le duc de Mayenne, et la Ligue, combattaient pour le papisme ; et tout ce qu’ils craignaient était que Henri IV ne se fît catholique. Il franchit ce pas, le 25 juillet 1593, dans l’église de Saint-Denis.

Ce n’est pas un trait indigne de cette histoire d’apprendre qu’un curé de Saint-Eustache, avec six de ses confrères, ayant demandé au duc de Mayenne la permission d’aller à Saint-Denis voir cette cérémonie, le duc de Mayenne les renvoya au légat de Rome, et ce légat les menaça de les excommunier s’ils osaient être témoins de la conversion du roi. Ces bons prêtres méprisèrent la défense du légat italien ; ils sortirent de Paris à travers une foule de peuple qui les bénissait ; ils assistèrent à l’abjuration, et le légat n’osa les excommunier.

Il n’est pas nécessaire de sacrer un roi qui l’est uniquement par le droit de sa naissance. Le sacre n’est qu’une cérémonie, mais elle en impose au peuple, et elle était indispensable pour