Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/562

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
552
CHAPITRE XXXIV.


aussi ridicules que celles de la Satyre Ménippée. Ce ridicule n’empêchait pas qu’on ne se disposât à nommer un roi. L’or de l’Espagne et les bulles de Rome pouvaient beaucoup. Des troupes espagnoles s’avançaient encore. Le duc de Feria, ambassadeur d’Espagne, admis dans ces états, y parlait comme un protecteur parle à des peuples malheureux et désunis qui ont besoin de lui. Enfin il déclara qu’il fallait élire l’infante d’Espagne, et qu’on lui donnerait pour mari le jeune duc de Guise, ou le duc de Nemours de Savoie, son frère utérin ; mais c’était sur le duc de Guise que le choix devait tomber.

Trois Espagnols dominèrent dans ces états généraux de France : le duc de Feria, ambassadeur extraordinaire ; don Diego d’Ibarra et Taxis, ambassadeur ordinaire, et le licencié Mendoza. Taxis et Mendoza firent chacun un long discours contre la loi salique. On l’avait déjà foulée aux pieds du temps de Charles VI[1]. Elle avait reçu auparavant de rudes atteintes ; et si les Espagnols, secondés du pape, avaient réussi, cette loi n’était plus qu’une chimère, Henri IV était perdu ; mais heureusement le duc de Mayenne était aussi intéressé que Henri IV à prévenir ce coup fatal. L’élection d’une reine espagnole le faisait tomber des degrés du trône où il était assis le premier. Il se voyait le sujet du jeune Guise son neveu, et il n’était pas possible qu’il consentît à ce double affront.

Le parlement de Paris, dans cette extrémité, secourut à la fin Henri IV et le duc de Mayenne, et sauva la France.

Le Maître, que le duc de Mayenne avait créé premier président, assembla toutes les chambres le 29 juin 1593. On déclara la loi salique inviolable ; on protesta de nullité contre l’élection d’un prince étranger, et le président Le Maître fut chargé de signifier cet arrêt au duc de Mayenne, et de lui faire les représentations les plus fortes. Le duc de Mayenne les reçut avec une indignation simulée : car pouvait-il être affligé que le parlement rejetât une élection qui lui aurait ôté son pouvoir ? Ces remontrances même le flattaient beaucoup. Le parlement lui disait avec autant d’adresse que de fermeté[2] : » Imitez le roi Louis XII, votre bisaïeul, que son amour pour la patrie a fait surnommer le Père du peuple. » Ces paroles faisaient assez entendre qu’on ne le regardait pas comme un prince étranger ; et, tant qu’on éloignait le choix de l’infante, il demeurait revêtu de l’autorité

  1. Voyez tome XII, page 46.
  2. De Thou, livre CVI. (Note de Voltaire.)