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brochures, parce qu’il y avait alors des querelles plus importantes.

Arnauld fut donc seulement exclu de la faculté. Cette petite persécution lui attira une foule d’amis ; mais lui et les jansénistes eurent toujours contre eux l’Église et le pape. Une des premières démarches d’Alexandre VII, successeur d’Innocent X, fut de renouveler les censures contre les cinq propositions. Les évêques de France, qui avaient déjà dressé un formulaire, en firent encore un nouveau, dont la fin était conçue en ces termes : « Je condamne de cœur et de bouche la doctrine des cinq propositions contenues dans le livre de Cornélius Jansénius, laquelle doctrine n’est point celle de saint Augustin, que Jansénius a mal expliquée. »

Il fallut depuis souscrire cette formule, et les évêques la présentèrent dans leurs diocèses à tous ceux qui étaient suspects. On la voulut faire signer aux religieuses de Port-Royal de Paris et de Port-Royal des Champs. Ces deux maisons étaient le sanctuaire du jansénisme : Saint-Cyran et Arnauld les gouvernaient.

Ils avaient établi auprès du monastère de Port-Royal des Champs une maison où s’étaient retirés plusieurs savants vertueux, mais entêtés, liés ensemble par la conformité des sentiments : ils y instruisaient des jeunes gens choisis. C’est de cette école qu’est sorti Racine[1], le poète de l’univers qui a le mieux connu le cœur humain. Pascal, le premier des satiriques français, car Despréaux ne fut que le second, était intimement lié avec ces illustres et dangereux solitaires. On présenta le formulaire à signer aux filles de Port-Royal de Paris et de Port-Royal des Champs ; elles répondirent qu’elles ne pouvaient en conscience avouer, après le pape et les évêques, que les cinq propositions fussent dans le livre de Jansénius, qu’elles n’avaient pas lu ; qu’assurément on n’avait pas pris sa pensée ; qu’il se pouvait faire que ces cinq propositions fussent erronées ; mais que Jansénius n’avait pas tort.

Un tel entêtement irrita la cour. Le lieutenant civil d’Aubrai (il n’y avait point encore de lieutenant de police) alla à Port-Royal des Champs faire sortir tous les solitaires qui s’y étaient retirés, et tous les jeunes gens qu’ils élevaient. On menaça de détruire les deux monastères : un miracle les sauva.

Mlle Perrier, pensionnaire de Port-Royal de Paris, nièce du célèbre Pascal, avait mal à un œil : on fit à Port-Royal la cérémonie de baiser une épine de la couronne qu’on mit autre-

  1. Les premières éditions portaient : « le plus pur et le plus éloquent des poètes ». (B.)