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JOURNÉE DE LA SAINT-BARTHÉLEMY.


on alluma le soir des feux de joie dans toute la ville de Rome. Le lendemain le pape, accompagné de tous les cardinaux, alla rendre grâces à Dieu dans l’église de Saint-Marc et dans celle de Saint-Louis ; il y marcha à pied en procession ; l’ambassadeur de l’empereur lui portait la queue, le cardinal de Lorraine dit la messe ; on frappa des médailles sur cet événement (j’en ai eu une entre les mains) ; on fit faire un grand tableau dans lequel les massacres de la Saint-Barthélemy étaient peints. On lit dans une banderole, au haut du tableau, ces mots : Pontifex Colinii necem probat[1].

Charles IX ne survécut pas longtemps à ces horreurs. Il vit que, pour comble de malheurs, elles avaient été inutiles. Les protestants de son royaume, n’ayant plus d’autre ressource que de vendre chèrement leur vie, furent encouragés par leur désespoir. L’atrocité de la Saint-Barthélemy fit horreur à un grand nombre de catholiques qui, ne pouvant croire qu’une religion si sanguinaire pût être la véritable, embrassèrent la protestante.

Charles IX, dévoré de remords et d’inquiétude, tomba dans une maladie mortelle. Son sang s’alluma et se corrompit ; il lui sortait quelquefois par les pores ; le sommeil le fuyait, et quand il goûtait un moment de repos, il croyait voir les spectres de ses sujets égorgés par ses ordres ; il se réveillait avec des cris affreux, tout trempé de son propre sang, effrayé de celui qu’il avait répandu, n’ayant pour consolation que sa nourrice, et lui disant avec des sanglots : « Ah ! ma nourrice, que de sang ! que de meurtres ! qu’ai-je fait ! je suis perdu. »

Il mourut le 30 mai 1574, n’ayant pas encore vingt-quatre ans[2]. Le président Hénault a remarqué que le jour de ses obsèques

  1. Il paraît que Paul, écuyer du duc de Guise, porta à Rome la tête de Coligny. C’est ce qu’on peut conclure de ce passage (publié en 1828 dans le tome VII des Archives historiques du département du Rhône, page 432) d’une lettre de Mandelot, gouverneur de Lyon, à Charles IX, en date du 5 septembre 1572 : « J’ai aussi reçu, sire, la lettre qu’il a pleu à V. M. m’escrire, par laquelle elle me mande d’avoir esté avertie qu’il y a un homme qui est parti de par delà avec la teste qu’il auroit prise dudit admiral, après avoir été tué, pour la porter à Rome, et de prendre garde, quand ledit homme arrivera en ceste ville, de le faire arrester, et lui oster ladite teste ; à quoy j’ay incontinent donné si bon ordre que, s’il se présente, le commandement qu’il plait à V. M. m’en faire sera ensuivi. Et n’est passé jusques icy par ceste ville autre personne, pour s’en aller du côté de Rome, qu’un escuyer de M. de Guise, nommé Paul, lequel estoit parti quatre heures auparavant du jour mesme que je reçus ladite lettre de V. M. »

    Ce fut par les pieds que le corps de l’amiral fut pendu au gibet de Montfaucon. (B.)

  2. On lit : n’ayant pas encore vingt-quatre ans, dans toutes les éditions données du vivant de Voltaire. Charles IX, né le 27 juin 1550, mourut âgé de vingt-trois ans onze mois trois jours. C’est donc par erreur que quelques éditions portent : n’ayant pas encore vingt-cinq ans. (B.)