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INTRODUCTION DES JÉSUITES EN FRANCE.


roi, le parlement délibéra : les sentiments furent partagés. Pierre Séguier, président qu’on nomme à mortier, c’est-à-dire président de la grand’chambre du parlement, et François Dormy, président des enquêtes, allèrent rendre compte de ce partage au roi, qui était alors à Meulan. Le roi cassa, le 24 septembre, cet arrêt de partage, ordonna que la minute serait biffée et lacérée ; et enfin le parlement enregistra l’édit de la majorité le 28 septembre de la même année.



CHAPITRE XXVI.


DE L’INTRODUCTION DES JÉSUITES EN FRANCE.


On sait assez que l’Espagnol Ignace de Loyola, s’étant déclaré le chevalier errant de la Vierge Marie, et ayant fait la veille des armes en son honneur, était venu apprendre un peu de latin à Paris à l’âge de trente-trois ans[1] ; que, n’ayant pu y réussir, il fit vœu avec quelques-uns de ses compagnons d’aller convertir les Turcs, quoiqu’il ne sût pas plus le turc que le latin. Enfin, n’ayant pu passer en Turquie, il se consacra, lui et les siens, à enseigner le catéchisme aux petits enfants, et à faire tout ce que voudrait le pape ; mais peu de gens savent pourquoi il nomma sa congrégation naissante la Société de Jésus.

Les historiens de sa vie rapportent que sur le grand chemin de Rome il fut ravi en extase, que le Père éternel lui apparut avec son fils chargé d’une longue croix, et se plaignant de ses douleurs ; le Père éternel recommanda Ignace à Jésus, et Jésus à Ignace. Dès ce jour il appela ses compagnons jésuites, ou Compagnie de Jésus. Il ne faut pas s’étonner qu’une compagnie à laquelle on a reproché tant de politique ait commencé par le ridicule : la prudence achève souvent les édifices fondés par le fanatisme.

Les disciples d’Ignace obtinrent de la protection en France. Guillaume Duprat, évêque de Clermont, fils du cardinal Duprat, leur donna dans Paris une maison qu’ils appelèrent le collége de

  1. Voyez tome XII, page 340.