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CHAPITRE XXI.


l’autre. On fit la cérémonie de passer un morceau de verre sur sa tonsure et sur ses ongles, après quoi il fut ramené à la Bastille, et condamné à être étranglé et brûlé, par des commissaires du parlement, que ses persécuteurs avaient nommés. Il reçut son arrêt avec résignation et courage : « Éteignez vos feux, dit-il à ses juges, renoncez à vos vices, convertissez-vous à Dieu. » Il fut pendu et brûlé dans la place de Grève, le 19 octobre 1559[1].

Gui du Faur[2] fut condamné par les mêmes commissaires à une interdiction de cinq ans, et à une amende de cinq cents livres. Son arrêt porte : « Pour avoir témérairement avancé qu’il n’y a point de meilleur remède pour finir les troubles de l’Église que l’assemblée d’un concile œcuménique, et qu’en attendant on doit suspendre les supplices. »

Une grande partie du parlement s’éleva contre cet arrêt, et accepta la protestation de du Faur ; tout le parlement fut longtemps partagé, les esprits s’échauffèrent, et enfin le parti de la raison l’emportant sur celui du fanatisme et de la servitude, le jugement des commissaires contre du Faur fut rayé et biffé à la pluralité des voix.

Cependant le conseiller Anne Dubourg ayant déclaré à la potence qu’il mourait serviteur de Dieu, et ennemi des abus de l’Église romaine, son supplice fit plus de prosélytes en un jour que les livres et les prédications n’en avaient fait en plusieurs années. Le nom catholique devint tellement en horreur aux protestants, et les factions furent si animées, que, depuis ce temps jusqu’aux années paisibles et trop courtes où Henri IV restaura le royaume, c’est-à-dire pendant plus de quarante années, il ne se passa pas un seul jour qui ne fût marqué par des querelles sanglantes, par des combats particuliers ou généraux, ou par des assassinats, ou par des emprisonnements, ou par des supplices. Tel fut l’état où les disputes de religion réduisirent le royaume pendant un demi-siècle, tandis que la même cause eut à peu près les mêmes effets dans l’Angleterre, dans l’Allemagne, et dans les Pays-Bas.

  1. Les auteurs de l’Art de vérifier les dates disent le 23 décembre. Anne Dubourg, arrêté vingt-cinq jours avant la mort de Henri II, ne fut condamné que sous François II : voyez tome XII, page 333. Voltaire a composé un Discours du conseiller Anne Dubourg à ses juges ; voyez les Mélanges, année 1771.
  2. Les auteurs de l’Art de vérifier les dates prétendent que les quatre coaccusés de Dubourg s’étant rétractés furent renvoyés. L’un de ces coaccusés n’était pas Gui, mais Louis du Faur, le même dont il a été question page 504.