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CHAPITRE XXI.


pour lui qu’on inventa le sobriquet de mouchards, pour désigner les espions ; son nom seul est devenu une injure.

Cet inquisiteur suborna deux jeunes gens pour déposer que les prétendus réformés avaient fait, le jeudi saint, une assemblée dans laquelle, après avoir mangé un cochon en dérision de l’ancien sabbat, ils avaient éteint les lampes, et s’étaient abandonnés, hommes et femmes, à une prostitution générale.

C’est une chose bien remarquable qu’une telle calomnie ait toujours été intentée contre toutes les nouvelles sectes, à commencer même par le christianisme, auquel on imputa des abominations pareilles. Les sectaires, nommés huguenots, reformés, protestants, évangéliques, furent poursuivis partout. On en condamna plusieurs aux flammes. Ce supplice ne paraît pas proportionné au délit. Des gens qui n’étaient convaincus que d’avoir prié Dieu dans leur langue naturelle, et d’avoir communié avec du pain levé et du vin, semblaient ne pas mériter un si affreux supplice ; mais dès longtemps l’Église s’était servie des bûchers pour punir tous ceux qui avaient le malheur de ne pas penser comme elle. On supposait que c’était à la fois imiter et prévenir la justice divine, qui destine tous les ennemis de l’Église au feu éternel. Le bûcher était regardé comme un commencement de l’enfer[1].

Deux chambres du parlement prirent également connaissance du crime d’hérésie, la grand’chambre et la Tournelle, quoique depuis la grand’chambre se soit bornée aux procès civils, quand elle juge seule. Le roi donnait aussi des commissions particulières pour juger les délinquants. On nommait ces commissions chambres ardentes. Tant de supplices excitèrent enfin la pitié ; et plusieurs membres du parlement, s’étant adonnés aux lettres, pensèrent que l’Église devait plutôt réformer ses mœurs et ses lois que verser le sang des hommes ou les faire périr dans les flammes.

Il arriva au mois d’avril 1559, dans une assemblée qu’on nomme mercuriale, que les plus savants et les plus modérés du parlement proposèrent d’user de moins de cruauté, et de chercher à réformer l’Église. Ce fut l’avis du président Ranconet, d’Arnaud Ferrier, d’Antoine Fumée, de Paul de Foix, de Nicolas Duval, de Claude Viole, d’Eustache de La Porte, de Louis du Faur, et du célèbre Anne Dubourg.

  1. Voyez tome XII, page 323, et dans les Mélanges, année 1766, le paragraphe IV du Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines ; année 1769, le paragraphe XXII de l’opuscule De la Paix perpétuelle.