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CHAPITRE XVIII.


moine de ses ancêtres. Il ne consulta, sur cette affaire délicate, ni le parlement de Paris, ni le parlement de Bourgogne établi par Louis XI ; mais il se fit représenter, à Cognac où il était, par des députés des états de Bourgogne, qu’il n’avait pu aliéner son domaine, et que, s’il persistait à céder la Bourgogne à l’empereur, ils en appelleraient aux états généraux, à qui seuls il appartenait d’en juger.

Les députés des états de Bourgogne savaient bien que les états généraux de l’empire avaient autant de droit que les états de France de juger cette question, ou plutôt qu’elle n’était que du ressort du droit de la guerre. Le vainqueur avait imposé la loi au vaincu : fallait-il que le vaincu accomplît ou violât sa promesse[1] ?

L’empereur, en reconduisant son prisonnier au delà de Madrid, l’avait conjuré de lui dire franchement, et sur sa foi de gentilhomme, s’il était dans la résolution d’accomplir le traité, et avait même ajouté qu’en quelque disposition qu’il fût il n’en serait pas moins libre. François Ier avait répondu qu’il tiendrait sa parole. L’empereur répliqua : « Je vous crois ; mais si vous y manquez, je publierai partout que vous n’en avez pas usé en homme d’honneur. » L’empereur était donc en droit de reprocher au roi que, s’il avait combattu en brave chevalier à Pavie, il ne se conduisait pas en loyal chevalier en manquant à sa promesse. Il dit aux ambassadeurs de France que le roi leur maître avait procédé de mauvaise foi, et que, quand il voudrait, il le lui soutiendrait seul à seul, c’est-à-dire dans un combat singulier[2].

Le roi, à qui on rapporta ce discours public, présenta sa réponse par écrit à l’ambassadeur de l’empereur, qui s’excusa de la lire, parce qu’il avait déjà pris congé. Vous l’entendrez au moins, dit le roi ; et il lui fit lire l’écrit signé de sa main et par Robertet, secrétaire d’État. Cet écrit portait en propres mots :

  1. Un roi peut-il avoir le droit de soumettre une de ses provinces à un prince étranger ?

    Une assemblée nationale a-t-elle le pouvoir de priver des citoyens de leur droit de cité, et de les forcer de faire partie d’un autre peuple ? La solution de ces questions sera-t-elle la même pour les pays où le droit de cité est attaché à la propriété territoriale, et pour ceux où il en est indépendant ?

    Nous n’entreprendrons point de décider ces questions ; mais il est clair que si François Ier n’avait pas le droit de céder la Bourgogne, s’il avait fait une promesse qu’il ne pouvait pas tenir, il était obligé de se remettre entre les mains de l’empereur. (K.)

  2. Comparez ce qui est dit à ce sujet dans le chapitre CXXIV de l’Essai sur les Mœurs.