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CHAPITRE XXXVII.

DU JANSÉNISME.


Le calvinisme devait nécessairement enfanter des guerres civiles, et ébranler les fondements des États. Le jansénisme ne pouvait exciter que des querelles théologiques et des guerres de plume, car les réformateurs du xvie siècle ayant déchiré tous les liens par qui l’Église romaine tenait les hommes, ayant traité d’idolâtrie ce qu’elle avait de plus sacré, ayant ouvert les portes de ses cloîtres, et remis ses trésors dans les mains des séculiers, il fallait qu’un des deux partis pérît par l’autre. Il n’y a point de pays, en effet, où la religion de Calvin et de Luther ait paru sans exciter des persécutions et des guerres.

Mais les jansénistes n’attaquant point l’Église, n’en voulant ni aux dogmes fondamentaux, ni aux biens, et écrivant sur des questions abstraites, tantôt contre les réformés, tantôt contre les constitutions des papes, n’eurent enfin de crédit nulle part ; et ils ont fini par voir leur secte méprisée dans presque toute l’Europe, quoiqu’elle ait eu plusieurs partisans très-respectables par leurs talents et par leurs mœurs.

Dans le temps même où les huguenots attiraient une attention sérieuse, le jansénisme inquiéta la France plus qu’il ne la troubla. Ces disputes étaient venues d’ailleurs comme bien d’autres. D’abord un certain docteur de Louvain, nommé Michel Bay, qu’on appelait Baïus, selon la coutume du pédantisme de ces temps-là, s’avisa de soutenir, vers l’an 1552, quelques propositions sur la grâce et sur la prédestination ? Cette question, ainsi que presque toute la métaphysique, rentre, pour le fond, dans le labyrinthe de la fatalité et de la liberté où toute l’antiquité s’est égarée, et où l’homme n’a guère de fil qui le conduise.

L’esprit de curiosité donné de Dieu à l’homme, cette impulsion nécessaire pour nous instruire, nous emporte sans cesse au delà du but, comme tous les autres ressorts de notre âme, qui, s’ils ne pouvaient nous pousser trop loin, ne nous exciteraient peut-être jamais assez.

Ainsi on a disputé sur tout ce qu’on connaît, et sur tout ce qu’on ne connaît pas ; mais les disputes des anciens philosophes