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CHAPITRE I.


de leurs arrêts à la cour de l’empereur : mais les grands terriens eurent bientôt le droit de juger sans appel, jus de non appellando ; tous les électeurs jouissent aujourd’hui de ce droit, et c’est ce qui a réduit enfin les empereurs à n’être plus que les chefs d’une république de princes.

Tels furent les rois de France jusqu’à Philippe-Auguste. Ils jugeaient souverainement dans leurs domaines ; mais ils n’exerçaient cette justice suprême sur les grands vassaux que quand ils avaient la force en main. Voyez combien il en coûta de peines à Louis le Gros pour soumettre seulement un seigneur du Puiset, un seigneur de Montlhéry.

L’Europe entière était alors dans l’anarchie. L’Espagne était encore partagée entre des rois musulmans, des rois chrétiens, et des comtes. L’Allemagne et l’Italie étaient un chaos ; les querelles de Henri IV avec le pontife de Rome, Grégoire VII, donnèrent commencement à une jurisprudence nouvelle et à cinq cents ans de guerres civiles. Cette nouvelle jurisprudence fut celle des papes, qui bouleversèrent la chrétienté pour y dominer.

Les pontifes de Rome profitèrent de l’ignorance et du trouble pour se rendre les juges des rois et des empereurs ; ces souverains, toujours en guerre avec leurs vassaux, étaient souvent obligés de prendre le pape pour arbitre. Les évêques, au milieu de cette barbarie, établissaient une juridiction monstrueuse ; leurs officiers ecclésiastiques, étant presque les seuls qui sussent lire et écrire, se rendirent les maîtres de toutes les affaires dans les États chrétiens.

Le mariage étant regardé comme un sacrement, toutes les causes matrimoniales furent portées devant eux ; ils jugèrent presque toutes les contentions civiles, sous prétexte qu’elles étaient accompagnées d’un serment. Tous les testaments étaient de leur ressort, parce qu’ils devaient contenir des legs à l’Église ; et tout testateur qui avait oublié de faire un de ces legs, qu’on appelle pieux, était déclaré déconfès, c’est-à-dire, à peu près sans religion ; il était privé de la sépulture, son testament était cassé, l’Église en faisait un pour lui, et s’adjugeait ce que le mort aurait dû lui donner.

Voulait-on s’opposer à ces violences, il fallait plaider à Rome, et l’on y était condamné[1].

  1. Les éditions antérieures à 1775 portent : « Il fallait aller plaider à Rome, où l’on était condamné. » Dans l’édition de 1775, on lit : « Il fallait plaider à Rome, où l’on était condamné. » (B.)