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qui ne doit être réservé que pour les Châtel et les Ravaillac[1], dont tout un royaume est intéressé à découvrir les complices. Elle a été abolie en Angleterre et dans une partie de l’Allemagne ; elle est depuis peu proscrite dans un empire de deux mille lieues[2] : et s’il n’y a pas de plus grands crimes dans ces pays que parmi nous, c’est une preuve que la torture est aussi condamnable que les délits qu’on croit prévenir par elle, et qu’on ne prévient pas[3].

On s’est élevé aussi contre la confiscation. On a vu qu’il n’est pas juste de punir les enfants des fautes de leurs pères. C’est[4] une maxime reçue au barreau : Qui confisque le corps confisque les biens ; maxime en vigueur dans les pays où la coutume tient lieu de loi. Ainsi, par exemple, on y fait mourir de faim les enfants de ceux qui ont terminé volontairement leurs jours, comme les enfants des meurtriers. Ainsi une famille entière est punie, dans tous les cas, pour la faute d’un seul homme.

Ainsi lorsqu’un père de famille aura été condamné aux galères perpétuelles par une sentence arbitraire[5], soit pour avoir donné retraite chez soi à un prédicant, soit pour avoir écouté son sermon dans quelque caverne ou dans quelque désert, la femme et les enfants sont réduits à mendier leur pain.

Cette jurisprudence, qui consiste à ravir la nourriture aux orphelins, et à donner à un homme le bien d’autrui, fut inconnue dans tout le temps de la république romaine. Sylla l’introduisit dans ses proscriptions. Il faut avouer qu’une rapine inventée par

  1. Cette restriction se retrouve encore dans l’article Question, Torture, des Questions sur l’Encyclopédie, publié en 1771 ; voyez Dictionnaire philosophique, mêmes mots.
  2. L’empire de Russie.
  3. On employait en France la torture : 1° pour tirer de l’accusé l’aveu de son crime ; 2° pour forcer un criminel condamné à mort à révéler ses complices. La première espèce de torture a été abolie en 1780, mais on a conservé la seconde, qui n’est cependant ni moins inutile ni moins barbare. Le crime d’un homme en devient-il plus grand, mérite-t-il une peine plus cruelle, parce qu’on imagine qu’il a pu avoir des complices ? Si l’on connaît d’avance ceux qu’il nomme, son témoignage peut également servir à tromper comme à éclairer le juge sur la nature des recherches qui lui restent à faire. S’il nomme de nouveaux complices, on s’expose à compromettre des innocents sur la parole d’un homme à qui et sa vie précédente et les moyens qu’on emploie pour l’obliger à parler ne permettent pas d’accorder la moindre créance. Mais en voilà trop sur cet article ; jamais un homme qui aura quelques restes de bon sens ou d’humanité ne comptera la torture parmi les moyens de découvrir la vérité. (K.)
  4. La fin de cet alinéa et les neuf qui le suivent sont extraits du paragraphe xxi du Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines. (B.)
  5. Voyez l’édit de 1724, 14 mai, publié à la sollicitation du cardinal de Fleury, et revu par lui. (Note de Voltaire.)