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bien les arts et les lettres s’étaient perfectionnés. La nation ouvrit les yeux sur les lois, ce qui n’était pas encore arrivé. Louis XIV avait signalé son règne par un code qui manquait à la France ; mais ce code regardait plutôt l’uniformité de la procédure que le fond des lois, qui devait être commun à toutes les provinces, uniforme, invariable, et n’avoir rien d’arbitraire. La jurisprudence criminelle parut surtout tenir encore un peu de l’ancienne barbarie. Elle fut dirigée plutôt pour trouver des coupables que pour sauver des innocents. C’est une gloire éternelle pour le président de Lamoignon, de s’être souvent opposé, dans la rédaction de l’ordonnance, à la cruauté des procédures ; mais sa voix, qui était celle de l’humanité, fut étouffée par la voix de Pussort et des autres commissaires, qui fut celle de la rigueur.

Les hommes les plus instruits, dans nos derniers temps, ont senti le besoin d’adoucir nos lois, comme on a enfin adouci nos mœurs. Il faut avouer que dans ces mœurs il y eut autant de férocité que de légèreté et d’ignorance dans les esprits, jusqu’aux beaux jours de Louis XIV. Pour se convaincre de cette triste vérité, il ne faut que jeter les yeux sur le supplice d’Augustin de Thou et du maréchal de Marillac, sur l’assassinat du maréchal d’Ancre, sur sa veuve, condamnée aux flammes, sur plus de vingt assassinats, ou médités, ou entrepris contre Henri IV, et sur le meurtre de ce bon roi. Les temps précédents sont encore plus funestes ; vous remontez de l’horreur des guerres civiles et de la Saint-Barthélemy aux calamités du siècle de François Ier ; et de là jusqu’à Clovis, tout est sauvage. Les autres peuples n’ont pas été plus humains ; mais il n’y a guère eu de nation plus diffamée par les assassinats et les grands crimes que la française. On racheta longtemps ces crimes à prix d’argent ; et ensuite les lois furent aussi atroces que les mœurs. Ce qui en fit la dureté, c’est que la manière de procéder fut presque entièrement tirée de la jurisprudence ecclésiastique. On en peut juger par le procès criminel des templiers, qui, à la honte de la patrie, de la raison, et de l’équité, ne fut instruit que par des prêtres nommés par un pape.

Les hommes ayant été si longtemps gouvernés en bêtes farouches par des bêtes farouches, excepté peut-être quelques années sous saint Louis, sous Louis XII, et sous Henri IV, plus les esprits se sont civilisés, et plus ils ont frémi de la barbarie, dont il subsiste encore tant de restes. La torture, qu’aucun citoyen ni de la Grèce ni de Rome ne subit jamais, a paru aux jurisconsultes compatissants et sensés un supplice pire que la mort,