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Le duc de Choiseul, qui dirigea toute cette entreprise, eut la gloire de donner au roi son maître une province qui peut aisément, si elle est bien cultivée, nourrir deux cent mille hommes, fournir de braves soldats, et faire un jour un commerce utile.

On peut observer que si la France s’accrut, sous Louis XIV, de l’Alsace, de la Franche-Comté, et d’une partie de la Flandre, elle fut augmentée, sous Louis XV, de la Lorraine et de la Corse[1].

Ce qui n’est pas moins digne de remarque, c’est que, par les soins du même ministre, les possessions de la France en Amérique acquirent un degré de force et de prospérité qui vaut de nouvelles acquisitions. Ces avantages furent dus au choix que l’on fit du comte d’Ennery pour administrer successivement toutes nos colonies. Il se trouvait officier général très-jeune, à la paix de 1762, et n’était connu alors que par ses talents pour la guerre. Le duc de Choiseul démêla en lui l’homme d’État. En effet, le comte d’Ennery, pendant six années de gouvernement, ne cessa démontrer toutes les lumières et les vertus qui peuvent faire chérir et respecter l’autorité. « Tout le monde le craint, et il n’a encore fait de mal à personne », écrivait-on de la Martinique. Partout il fit régner la justice, et il inspira l’amour de la gloire ; partout il animait le commerce et l’industrie, il parvint à entretenir la concorde entre tous les États, ce qui est une chose bien rare. Il adoucit le triste sort des esclaves. Il fit défricher l’île de Sainte-Lucie, et par là il créa une colonie nouvelle.

Dans d’autres parties, en creusant des canaux il épura l’air, féconda la terre, fit naître de nouvelles richesses ; et en même temps il pourvoyait à la sûreté et à l’embellissement de nos possessions.

Quelque temps après avoir été rappelé en France par le mauvais état de sa santé, il se dévoua à de nouveaux sacrifices, plutôt sollicités qu’exigés par un jeune monarque[2] qui lui écrivit de sa propre main : « Votre réputation seule me servira beaucoup à Saint-Domingue. »

Le comte d’Ennery avait mérité une confiance si honorable en rendant au roi un des plus importants services, celui de fixer, avec les Espagnols, les limites des deux nations. Cet administra-

    nationale comme traître à la république, il livra aux Anglais son île, et retourna en exil à Londres. ( G. A.)

  1. C’était ici la fin du chapitre en 1769, Les cinq alinéas qui suivent sont posthumes, et ont paru, pour la première fois, dans les éditions de Kehl. Les deux derniers alinéas du chapitre étaient dans l’édition de 1775. (B.)
  2. Louis XVI.