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Aussi le roi ne fit aucune difficulté de remettre le jugement du coupable à ceux de la grand’chambre qui n’avaient pas donné leur démission. Il voulut même que les princes et les pairs rendissent, par leur présence, le procès plus solennel et plus authentique dans tous ses points aux yeux d’un public aussi défiant que curieux exagérateur, qui voit toujours, dans ces aventures effrayantes, au delà de la vérité. Jamais en effet la vérité n’a paru dans un jour plus clair. Il est évident que cet insensé n’avait aucun complice : il déclara toujours qu’il n’avait point voulu tuer

    l’interrogatoire du nommé François Damiens, en date du neuf janvier mil sept cent cinquante-sept, à Versailles, le roi y étant.

    Signé : Damiens.

    Le Clerc du Brillet, et Duvoigne, avec paraphe.

    Et plus bas est écrit :

    AU ROI.

    Suit la teneur d’un écrit signé Damiens.

    COPIE DU BILLET.

    MM. Chagrange. Seconde. Baisse de Lisse*. De la Guyomie. Clément. Lambert.

    Le président de Rieux Bonnainvilliers.
    Président du Massy, et presque tous.

    Il faut qu’il remette son parlement, et qu’il le soutienne avec promesse de ne rien faire aux ci-dessus et compagnie.

    Signé : Damiens.
    Plus bas est écrit :

    Paraphé, ne varietur, suivant et au désir de l’interrogatoire de ce jour neuf janvier mil sept cent cinquante-sept.

    Signé : Damiens.

    Le Clerc du Brillet, et Duvoigne, avec paraphe.

    Ladite lettre, ainsi que ledit écrit, annexés à la minute dudit interrogatoire.

    * Ce misérable estropie presque tous les noms de ceux dont il parle. (Note de Voltaire) — J’ai rétabli presque tous ces noms dans une note du chapitre lxvii de l’Histoire du Parlement. Le président appelé Da Massy par Damiens est, avec raison, nommé Mazi par voltaire, dans son Histoire du Parlement. Voltaire, en rapportant ci-dessus la lettre de Damiens au roi (Sire, je suis bien fâché, etc.), a supprimé un Post-scriptum où l’accusé rend compte des cruautés commises sur sa personne par Machault. Voici ce Post-scriptum :

    » J’oublie à avoir l’honneur de représenter à Votre Majesté que, malgré les ordres que vous avez donnés, en disant que l’on ne me fasse pas de mal, cela n’a pas empêché que monseigneur le garde des sceaux a fait chauffer deux pinces dans la salle des gardes, me tenant lui-même, et ordonné à deux gardes de me brûler les jambes, ce qui fut exécuté en leur promettant récompense, en disant à ces deux gardes d’aller chercher deux fagots, et de les mettre dans le feu, afin de m’y faire jeter dedans, et que sans M. Le Clerc, qui a empêché leur projet, je n’aurais pas pu avoir l’honneur de vous instruire de ce que dessus. Damiens.

    » Le Clerc du Brillet était lieutenant du grand prévôt. (B.)

    — Machault, le garde des sceaux, voulait à toute force que Damiens se dît jésuite. Le patient lui cria : « C’est toi qui n’es qu’un misérable ! Si tu avais soutenu la compagnie (le parlement), tout cela ne fût pas arrivé ! » Alors Machault : « Deux fagots ! » et il voulait le brûler vif. Voltaire, qui a omis à dessein le post-scriptum, s’enhardira pourtant à signaler les cruautés de Machault dans son Histoire du Parlement. (G. A.)