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Ces considérations, jointes aux difficultés qu’on faisait sur l’enregistrement des impôts, déterminèrent le roi à venir réformer le parlement de Paris dans un lit de justice.

Quelque secret que le ministère eût gardé, il perça dans le public. Le roi fut reçu dans Paris avec un morne silence[1]. Le peuple ne voit dans un parlement que l’ennemi des impôts ; il n’examine jamais si ces impôts sont nécessaires ; il ne fait pas même réflexion qu’il vend sa peine et ses denrées plus cher à proportion des taxes, et que le fardeau tombe sur les riches. Ceux-ci se plaignent eux-mêmes, et encouragent les murmures de la populace[2].

Les Anglais dans cette guerre ont été plus chargés que les Français ; mais, en Angleterre, la nation se taxe elle-même, elle sait sur quoi les emprunts seront remboursés. La France est taxée, et ne sait jamais sur quoi seront assignés les fonds destinés au payement des emprunts. Il n’y a point en Angleterre de particuliers qui traitent avec l’État des impôts publics, et qui s’enrichissent aux dépens de la nation ; c’est le contraire en France. Les parlements de France ont toujours fait des remontrances aux rois contre ces abus ; mais il y a des temps où ces remontrances, et surtout les difficultés d’enregistrer, sont plus dangereuses que ces impôts mêmes, parce que la guerre exige des secours présents, et que l’abus de ces secours ne peut être corrigé qu’avec le temps.

Le roi vint au parlement faire lire un édit par lequel il supprimait deux chambres de ce corps et plusieurs officiers[3]. Il ordonna qu’on respectât la bulle Unigenitus, défendit que les juges

    mon clergé, au fond, m’est attaché et fidèle ; les autres voudraient me mettre en tutelle. Le régent a eu bien tort de leur rendre le droit de faire des remontrances : ils finiront par perdre l’État… c’est une assemblée de républicains !… » Et, pour terminer : « Au reste, en voilà assez : les choses comme elles sont dureront autant que moi. »

  1. Voyez l’Histoire du Parlement, chapitre lxvi.
  2. Il est très-vrai que toute taxe annuelle n’est payée en réalité que par les propriétaires de terres ; la petite partie qui peut l’être par les profits du commerce étranger ne mérite point d’être comptée ; mais il n’en est pas de même des taxes extraordinaires levées en temps de guerre. Celles qui portent sur les consommations du peuple ne font pas augmenter ses salaires, parce que les propriétaires alors font moins travailler. Le peuple souffre donc directement de ces taxes. Il souffre par la même raison de celles qui paraissent ne porter directement que sur les propriétaires. Celles-là ne seraient indifférentes au peuple que dans le cas où le produit de ces taxes serait employé en entier à lui procurer des salaires ; encore faudrait-il qu’elles ne fussent payées que par les propriétaires riches : le peuple, la populace même, souffrent donc réellement des impôts extraordinaires. (K.)
  3. Deux chambres des enquêtes, et plus de soixante conseillers. On mutilait le parlement dans sa partie active. (G. A.)