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bulle comme une loi de l’Église, mais ne voulant point qu’on parlât de cette loi dangereuse. Ses soins paternels pouvaient peu de chose sur des esprits aigris et alarmés. Les parlements prétendaient qu’on ne pouvait séparer le spirituel du civil, puisque les querelles spirituelles entraînaient nécessairement après elles des querelles d’État.

(Mars) Le parlement assigna l’évêque d’Orléans à comparaître pour des sacrements. Il fit brûler par le bourreau tous les écrits dans lesquels on lui contestait sa juridiction, excepté les déclarations du roi. Il envoya des conseillers faire enregistrer ses arrêts en Sorbonne malgré les ordres du roi. On voyait tous les jours le bourreau occupé à brûler des mandements d’évêques, et les recors de la justice faisant communier les malades la baïonnette au bout du fusil. Le parlement, dans toutes ses démarches, ne consultait que ses lois et le maintien de son autorité. Le roi voyait au-delà, il considérait les convenances qui demandent souvent que les lois plient.

Enfin, pour la troisième fois, le parlement cessa de rendre la justice aux citoyens, pour ne s’occuper que des refus de sacrements qui troublaient la France entière.

Le roi lui envoya, aussi pour la troisième fois, des lettres de jussion, qui lui ordonnaient de remplir ses devoirs et de ne plus faire souffrir ses sujets plaideurs de ces querelles étrangères, les procès des particuliers n’ayant aucun rapport à la bulle Unigenitus.

(Mai 1753) Le parlement[1] répondit qu’il violerait son serment s’il reconnaissait les lettres patentes du roi, et qu’il ne pouvait obtempérer (vieux mot tiré du latin, qui signifie obéir).

Alors le roi se crut obligé d’exiler tous les membres des enquêtes, les uns à Bourges, les autres à Poitiers, quelques-uns en Auvergne, et d’en faire enfermer quatre qui avaient parlé avec le plus de force.

On épargna la grand’chambre ; mais elle crut qu’il y allait de son honneur de n’être point épargnée. Elle persista à ne point rendre la justice au peuple, et à procéder contre les réfractaires. Le roi l’envoya à Pontoise, bourg à six lieues de Paris, où le duc d’Orléans l’avait déjà envoyée pendant sa régence.

L’Europe s’étonnait qu’on fît tant de bruit en France pour si peu de chose, et les Français passaient pour une nation frivole qui, faute de bonnes lois reconnues, mettait tout en feu pour une

  1. Voyez Histoire du Parlement, chapitre lxvi.