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Le ministère fut obligé d’abandonner une entreprise qu’il n’eût pas fallu hasarder si on ne pouvait la soutenir[1]. Quelques membres du clergé imaginèrent alors d’occuper le gouvernement par une diversion embarrassante, et de le mettre en alarme sur le spirituel pour faire respecter le temporel.

Ils savaient que la fameuse bulle Unigenitus[2] était en exécration aux peuples. On résolut d’exiger des mourants des billets de confession : il fallait que ces billets fussent signés par des prêtres adhérents à la bulle, sans quoi point d’extrême-onction, point de viatique : on refusait sans pitié ces deux consolations aux appelants et à ceux qui se confessaient à des appelants. Un archevêque de Paris entra surtout dans cette manœuvre, plus par zèle de théologien que par esprit de cabale.

Alors toutes les familles furent alarmées, le schisme fut annoncé : plusieurs de ceux qu’on appelle jansénistes commençaient à dire hautement que si on rendait les sacrements si difficiles, on saurait bientôt s’en passer, à l’exemple de tant de nations. Ces minuties bourgeoises occupèrent plus les Parisiens que tous les grands intérêts de l’Europe. C’étaient des insectes sortis du cadavre du molinisme et du jansénisme, qui, en bourdonnant dans la ville, piquaient tous les citoyens. On ne se souvenait plus ni de Metz, ni de Fontenoy, ni des victoires, ni des disgrâces, ni de tout ce qui avait ébranlé l’Europe. Il y avait dans Paris cinquante mille énergumènes qui ne savent pas en quel pays coulent le Danube et l’Elbe, et qui croyaient l’univers bouleversé pour des billets de confession : tel est le peuple.

Un curé de Saint-Étienne du Mont[3], petite paroisse de Paris, ayant refusé les sacrements à un conseiller du Châtelet, le parlement mit en prison le curé.

Le roi, voyant cette petite guerre civile excitée entre les parlements et les évêques, défendit à ses cours de judicature de se mêler des affaires concernant les sacrements, et en réserva la connaissance à son conseil privé. Les parlements se plaignirent

  1. Voyez les notes sur le Siècle de Louis XIV. Le contrôleur général des finances était M. de Machault. Cette entreprise, qui lui fit perdre sa place, lui mérite la reconnaissance de la nation ; on le fit ministre de la marine. Au reste, le clergé n’eut le crédit d’empêcher la réussite du plan de M. de Machault que parce qu’il se ligua avec les ennemis que ce ministre avait dans le conseil. Les corps, en France, ne peuvent influer dans aucune révolution que comme les instruments de l’ambition de quelques hommes en place, ou d’une cabale de courtisans. (K.)
  2. Voyez l’Histoire du Parlement, chapitre lxii ; et le mot Bulle, dans le Dictionnaire philosophique.
  3. Il s’appelait Boitin ou Bouettin ; voyez l’Histoire du Parlement, chapitre lxv.