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CHAPITRE XXXVI[1].

GOUVERNEMENT INTÉRIEUR DE LA FRANCE. QUERELLES ET AVENTURES DEPUIS 1750 JUSQU’À 1762.


Longtemps avant cette guerre funeste, et pendant son cours, l’intérieur de la France fut troublé par cette autre guerre si ancienne et si interminable entre la juridiction séculière et la discipline ecclésiastique ; leurs bornes n’ayant jamais été bien marquées, comme elles le sont aujourd’hui en Angleterre, dans tant d’autres pays, et surtout en Russie, il en résultera toujours des dissensions dangereuses, tant que les droits de la monarchie et ceux des différents corps de l’État seront contestés.

Il se trouva vers l’an 1750 un ministre des finances assez hardi pour faire ordonner que le clergé et les religieux donneraient un état de leurs biens afin que le roi pût voir, par ce qu’ils possédaient, ce qu’ils devaient à l’État. Jamais proposition ne fut plus juste, mais les conséquences en parurent sacrilèges[2]. Un vieil évêque de Marseille[3] écrivit au contrôleur général : « Ne nous mettez pas dans la nécessité de désobéir à Dieu ou au roi ; vous savez lequel des deux aurait la préférence. » Cette lettre d’un évêque affaibli par l’âge, et incapable d’écrire, était d’un jésuite nommé Lemaire, qui le dirigeait, lui et sa maison. Ce jésuite était un fanatique de bonne foi, espèce d’hommes toujours dangereuse.

  1. Après le chapitre consacré au général Lally et celui où le procès de Damiens est rapporte, nulles pages n’étaient plus propres à irriter les parlementaires que les suivantes. « Messieurs devraient cependant me ménager un peu, écrivait Voltaire à d’Argental ; car, en vérité, pourront-ils empêcher que leur refus de rendre justice au peuple ne soit consigné dans toutes les gazettes ? Pourront-ils empêcher que ce refus ne soit aussi ridicule qu’injuste ? Plairont-ils beaucoup au gouvernement en proscrivant des ouvrages où la conduite du roi se trouve, par le seul exposé et sans aucune louange, le modèle de la modération et de la sagesse, et où leurs irrégularités paraissent, sans aucun trait de satire, le comble de la mauvaise humeur, pour ne pas dire plus ? » On devine, à ces paroles, toute la tactique de Voltaire dans ce chapitre. (G. A.)
  2. Voyez, dans les Mélanges, la Voix du sage et du peuple.
  3. Belzunce, alors âgé de près de quatre-vingts ans, celui-là même qu’à l’occasion de son dévouement à l’époque de la peste de Marseille, Voltaire, dans son Ode sur le Fanatisme (voyez tome VIII, page 427), appelait, en 1736, pasteur vénérable. Dans la lettre de Voltaire à d’Alembert, du 8 juillet 1757, il appelle Maire le jésuite qu’il nomme ici Lemaire. (B.)