Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impôts les plus rigoureux, aussi bien que tous les peuples engagés dans cette guerre[1].

La France alors était plus malheureuse. Toutes les ressources étaient épuisées ; presque tous les citoyens, à l’exemple du roi, avaient porté leur vaisselle à la Monnaie. Les principales villes et quelques communautés fournissaient des vaisseaux de guerre à leurs frais : mais ces vaisseaux n’étaient pas construits encore, et, quand même ils l’auraient été, on n’avait pas assez d’hommes de mer exercés.

Les malheurs passés en faisaient craindre de nouveaux. La capitale, qui n’est jamais exposée au fléau de la guerre, jetait plus de cris que les provinces souffrantes ; plus de secours, plus d’argent, plus de crédit. Ceux qu’on choisissait pour régir les finances étaient renvoyés après quelques mois d’administration. Les autres refusaient cet emploi, dans lequel on ne pouvait alors que faire du mal[2].

(10 février 1763) Dans cette triste situation, qui décourageait tous les ordres de l’État, le duc de Praslin, ministre alors des affaires étrangères, fut assez habile et assez heureux pour conclure la paix, dont le duc de Choiseul, ministre de la guerre, avait entamé les négociations.

Le roi de France échangea Minorque, qu’il rendit au roi d’Espagne, contre Belle-Isle, que l’Angleterre lui remit ; mais l’on

  1. L’archevêque de Manille était gouverneur de la place ; mais il ne se conduisit point comme l’évêque Goslin, qui défendit Paris contre les Normands. Il resta dans son palais. En vain quelques officiers français qui étaient dans la ville lui annoncèrent-ils que la brèche était praticable, les conseillers lui soutinrent qu’il ne fallait pas que Sa Seigneurie s’exposât à l’aller visiter ; qu’ils savaient bien qu’elle ne l’était pas ; on délibérait encore, que l’assaut était donné et la ville prise. Elle fut pillée pendant quarante heures, et rançonnée ensuite. Il y avait alors à Manille une illuminée, nommée la mère Paul ; elle assurait que les Anglais n’étaient venus que pour se convertir. Les moines annonçaient que saint François paraîtrait sur la brèche, et mettrait les Anglais en fuite avec son cordon. Personne, à Manille, ne doutait que cette ville n’eût été sauvée par lui, lorsque les Chinois tentèrent de s’en emparer, en 1603 : on l’avait vu sur les murailles combattre à la tête des Espagnols. Les Anglais firent leurs approches, et établirent leurs batteries, couvertes par deux églises qui étaient hors de la ville. Le gouverneur Arandia, prédécesseur de l’archevêque, avait voulu faire abattre ces églises, sachant bien le tort qu’elles feraient à la ville en cas de siège ; les moines menacèrent de l’excommunier, mais sa mort les délivra bientôt d’un gouverneur qui préférait le salut de la colonie à l’amitié des moines, et cette mort fut regardée généralement à Manille comme l’effet du poison. Voyez le Voyage dans les mers des Indes, tome II, par M. Le Gentil. (K.)
  2. Dans les éditions de 1768 et 1769, au lieu de cet alinéa, ajouté en 1775, on lisait celui que j’ai rapporté dans ma note, page 333. (B)