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l’Espagne et dans l’Inde, et dont la langue a laissé des traces dans plus de cent provinces.

Ce succès éveilla les Anglais. Ils prirent aussitôt le parti de la famille vaincue. Il y eut deux nababs ; et comme le soubab, ou roi de Décan, était lié avec le gouverneur de Pondichéry, un autre roi, son compétiteur, s’unit avec les Anglais. Voilà donc encore une guerre sanglante allumée entre les comptoirs de France et d’Angleterre sur les côtes de Coromandel, pendant que l’Europe jouissait de la paix. On consumait de part et d’autre dans cette guerre tous les fonds destinés au commerce, et chacun espérait se dédommager sur les trésors des princes indiens.

On montra des deux côtés un grand courage. MM. d’Auteuil, de Bussy, Lass, et beaucoup d’autres, se signalèrent par des actions qui auraient eu de l’éclat dans les armées du maréchal de Saxe. Il y eut surtout un exploit aussi surprenant qu’il est indubitable : c’est qu’un officier, nommé M. de La Touche, suivi de trois cents Français, entouré d’une armée de quatre-vingt mille hommes qui menaçait Pondichéry, pénétra la nuit dans leur camp, tua douze cents ennemis sans perdre plus de deux soldats, jeta l’épouvante dans cette grande armée, et la dispersa tout entière. C’était une journée supérieure à celle des trois cents Spartiates au pas des Thermopyles, puisque ces Spartiates y périrent, et que les Français furent vainqueurs. Mais nous ne savons peut-être pas célébrer assez ce qui mérite de l’être, et la multitude innombrable de nos combats en étouffe la gloire.

Le roi protégé par les Français s’appelait Mouza-Fersingue. Il était neveu du roi favorisé par les Anglais. L’oncle avait fait le neveu prisonnier, et cependant il ne l’avait point encore mis à mort, malgré les usages de la famille[1]. Il le traînait chargé de fers à la suite de ses armées avec une partie de ses trésors. Le gouverneur Dupleix négocia si bien avec les officiers de l’armée ennemie que, dans un second combat, le vainqueur de Mouza-Fersingue fut assassiné. Le captif fut roi, et les trésors de son ennemi furent sa conquête. Il y avait dans le camp dix-sept millions d’argent comptant. Mouza-Fersingue en promit la plus

  1. Cela est encore bien embrouillé. Tout au fait d’armes de l’officier La Touche, qu’il signale le premier, Voltaire a oublié de mentionner la bataille que gagna Nazer-Singh sur son neveu Muzafer-Singh, grâce à une sédition qui éclata dans les troupes françaises. (G. A.)