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bats dont le récit même ennuie aujourd’hui ceux qui s’y sont signalés ? Que reste-t-il de tant d’efforts ? Rien que du sang inutilement versé dans des pays incultes et désolés, des villages ruinés, des familles réduites à la mendicité ; et rarement même un bruit sourd de ces calamités perçait-il jusque dans Paris, toujours profondément occupé de plaisirs ou de disputes également frivoles[1].


CHAPITRE XXXIV.

LES FRANÇAIS MALHEUREUX DANS LES QUATRE PARTIES DU MONDE. DÉSASTRES DU GOUVERNEUR DUPLEIX. SUPPLICE DU GÉNÉRAL LALLY.


La France alors semblait plus épuisée d’hommes et d’argent dans son union avec l’Autriche qu’elle n’avait paru l’être dans deux cents ans de guerre contre elle. C’est ainsi que, sous Louis XIV, il en avait coûté pour secourir l’Espagne plus qu’on n’avait prodigué pour la combattre depuis Louis XII. Les ressources de la France ont fermé ces plaies ; mais elles n’ont pu réparer encore celles qu’elle a reçues en Asie, en Afrique, et en Amérique.

Elle parut d’abord triomphante en Asie. La compagnie des Indes était devenue conquérante pour son malheur. L’empire de l’Inde, depuis l’irruption de Sha-Nadir, n’était plus qu’une anarchie. Les soubabs, qui sont des vice-rois, ou plutôt des rois tributaires, achetaient leurs royaumes à la porte du grand padisha mogol, et revendaient leurs provinces à des nababs qui cédaient à prix d’argent des districts à des raïas. Souvent les ministres du Mogol, ayant donné une patente de roi, donnaient la même patente à qui en payait davantage ; soubab, nabab, raïa, en usaient de même. Chacun soutenait par les armes un droit chèrement acheté. Les Marattes[2] se déclaraient pour celui qui les payait le mieux, et pillaient amis et ennemis. Deux bataillons français ou anglais pouvaient battre ces multitudes indisciplinées, qui n’avaient nul art, et qui même, aux Marattes près, manquaient

  1. Voyez page 349.
  2. Voyez page 328.