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l’armée française formée à la hâte. Vésel allait succomber aux attaques du prince héréditaire. Le marquis de Castries s’avança avec rapidité, emporta Rhinsberg l’épée à la main, et jeta des secours dans Vésel. Méditant une action plus décisive encore, il vint camper le 15 octobre à un quart de lieu de l’abbaye appelée Closter-Camp. Le prince ne crut pas devoir l’attendre devant Vésel : il se décida à l’attaquer, et se porta au-devant de lui, par une marche forcée, la nuit du 15 au 16.

Le général français, qui se doute du dessein du prince, fait coucher son armée sous les armes ; il envoie à la découverte pendant la nuit M. d’Assas, capitaine au régiment d’Auvergne. À peine cet officier a-t-il la il quelques pas que des grenadiers ennemis, en embuscade, l’environnent et le saisissent à peu de distance de son régiment. Ils lui présentent la baïonnette, et lui disent que s’il fait du bruit il est mort. M. d’Assas se recueille un moment pour mieux renforcer sa voix, il crie : « À moi, Auvergne ! voilà les ennemis ! » Il tombe aussitôt percé de coups. Ce dévouement, digne des anciens Romains, aurait été immortalisé par eux. On dressait alors des statues à de pareils hommes ; dans nos jours ils sont oubliés, et ce n’est que longtemps après avoir écrit cette histoire que j’ai appris cette action si mémorable[1]. J’apprends qu’elle vient enfin d’être récompensée par une pension de mille livres accordée à perpétuité aux aînés de ce nom.

(30 auguste 1762) Ces succès divers du jeune prince héréditaire n’empêchèrent pas non plus que le prince de Condé[2], à peu près de son âge et rival de sa gloire, n’eût sur lui un avantage à six lieues de Francfort vers la Vétéravie[3] ; c’est là que le prince de Brunsvick fut blessé, et qu’on vit tous les officiers français s’intéresser à sa guérison comme les siens propres.

Quel fut le résultat de cette multitude innombrable de com-

  1. Ce fut le chevalier de Lorry, lieutenant-colonel au régiment d’Auvergne, qui fit connaître à Voltaire le dévouement du chevalier d’Assas. Voyez, dans la Correspondance, la lettre au chevalier de Lorry, du 26 octobre 1768, imprimée dans le Mercure dès le mois d’avril 1769. Feu Lombard de Langres, dans ses Mémoires anecdotiques, publiés en 1823, tome Ier, page 231, fait honneur à un sergent du régiment d’Auvergne, nommé Dubois, de l’action généralement attribuée à d’Assas. En 1828 a été inaugurée, dans la ville du Vigan, patrie de d’Assas, la statue pédestre de ce militaire, faite par M. Gatteaux.

    La phrase où Voltaire parle de la pension est posthume. Cette pension, supprimée pendant la Révolution, fut rétablie vers 1810 par Napoléon. (B.)

  2. Louis-Joseph de Bourbon, prince de Condé, né à Chantilly le 9 auguste 1739, mort à Paris le 13 mai 1818.
  3. Il s’agit du combat de Johansberg, près de Friedberg, en Vétéravie.