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dans l’art militaire, capable des grandes vues et des détails, d’une politesse égale à sa valeur, chéri à la cour et à l’armée. Le prince héréditaire de Brunsvick[1] qui le prit prisonnier, en eut soin comme de son frère, ne le quitta point jusqu’à sa mort, qu’il honora de ses larmes. Il l’aima d’autant plus qu’il retrouvait en lui son caractère. C’est ce même prince de Brunsvick qui voyagea depuis en France et dans une grande partie de l’Europe, que j’ai vu jouir si modestement de sa renommée et des sentiments qu’on lui devait. Il combattait alors tantôt en chef, tantôt sous le prince de Brunswick son oncle, beau-frère du roi de Prusse, qui acquit une grande réputation, et qui avait la même modestie, compagne de la véritable gloire et apanage de sa famille. Le prince héréditaire commandait dans plusieurs occasions des corps séparés, et il fut souvent aussi heureux qu’audacieux.

La bataille de Crevelt, dont on ne parlait à Paris qu’avec le plus grand découragement, n’empêcha pas le duc de Broglie de remporter une victoire complète à Bergen (13 avril 1759), vers Francfort, contre ces mêmes princes de Brunsvick victorieux ailleurs, et de mériter la dignité de maréchal de France à l’exemple de son père et de son grand-père. Mais ce même prince gagna encore, en 1760, la bataille de Varbourg, où furent blessés le marquis de Castries, le prince de Rohan-Bochefort, son cousin le marquis de Bétisy, le comte de La Tour-du-Pin, le marquis de Valence, et une quantité prodigieuse d’officiers français. Leur malheur était une preuve de leur courage[2].

Le comte de Montbarey, à la tête du régiment de la couronne, soutint longtemps l’effort des ennemis ; il y fut blessé d’un coup de canon et de deux coups de fusil.

Les braves actions de tant d’officiers et de soldats sont innombrables dans toutes les guerres ; mais il y en a eu de si singulières, de si uniques dans leur espèce, que ce serait manquer à la patrie que de les laisser dans l’oubli. En voici une, par exemple, qui mérite d’être à jamais conservée dans la mémoire des Français.

Le prince héréditaire de Brunsvick assiégeait Vésel, dont la prise eût porté la guerre sur le bas Rhin et dans le Brabant ; cet événement eût pu engager les Hollandais à se déclarer contre nous. (15 octobre 1758) Le marquis de Castries commandait

  1. Le même à qui sont adressées les Lettres à S. A. monseigneur le prince de…
  2. Dans l’édition originale et dans une édition de 1769, en deux volumes in-12, immédiatement après ces mots venait l’alinéa (aujourd’hui l’avant-dernier) qui commence ainsi : Ces succès divers, etc. Mais l’édition in-4o de 1769 contenait déjà la plus grande partie de l’addition qui suit. ( B.)