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paraît en ordre de bataille, entre deux collines garnies d’artillerie.

Ce spectacle frappa les yeux des troupes françaises et impériales. Il y avait quelques années qu’on avait voulu exercer les soldats français à la prussienne ; ensuite on avait changé plusieurs évolutions dans cet exercice : le soldat ne savait plus où il en était, son ancienne manière de combattre était changée ; il n’était pas affermi dans la nouvelle. Quand il vit les Prussiens avancer dans cet ordre singulier, inconnu presque partout ailleurs, il crut voir ses maîtres. L’artillerie du roi de Prusse était aussi mieux servie, et bien mieux postée que celle de ses ennemis. Les troupes des cercles s’enfuirent sans presque rendre de combat. La cavalerie française, commandée par le marquis de Castries, chargea la cavalerie prussienne, et en perça quelques escadrons ; mais cette valeur fut inutile.

Bientôt une terreur panique se répandit partout ; l’infanterie française se retira en désordre devant six bataillons prussiens. Ce ne fut point une bataille, ce fut une armée entière qui se présenta au combat, et qui s’en alla. L’histoire n’a guère d’exemples d’une pareille journée[1] ; il ne resta que deux régiments suisses sur le champ de bataille : le prince de Soubise alla à eux au milieu du feu, et les fit retirer au petit pas.

Le régiment de Diesbach essuya surtout très-longtemps le feu du canon et de la mousqueterie, et les approches de la cavalerie. Le prince de Soubise empêcha qu’il ne fût entamé, en partageant toujours ses dangers[2]. Cette étrange journée changea entièrement la face des affaires. Le murmure fut universel dans Paris. Le même général remporta une victoire sur les Hanovriens et les Hessois l’année suivante, et on en a parlé à peine. On a déjà observé[3] que tel est l’esprit d’une grande ville heureuse et oisive, dont on ambitionne le suffrage.

Le ministère de France n’avait point voulu ratifier la convention et les lois que le maréchal de Richelieu avait imposées

  1. C’est à la bataille de Rosbach, le 5 novembre 1757, que fut tué le marquis de La Fayette, laissant un enfant âgé de soixante-cinq jours, qui est aujourd’hui le général Lafayette (mars 1831). (B.)
  2. C’est contre le colonel Diesbach qu’il a plu au nommé La Beaumelle de se déchaîner dans un libelle intitulé Mes Pensées, ainsi que contre les d’Erlach, les Sinner, et toutes les illustres familles de la Suisse, qui prodiguent leur sang depuis deux siècles pour les rois de France. La grossièreté impudente de cet homme doit être réprimée dans toutes les occasions. (Note de Voltaire.)
  3. Dans l’Éloge funèbre des officiers qui sont morts dans la guerre de 1741 ; voyez aux Mélanges.