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Le prince de Soubise[1], général d’un courage tranquille et ferme, d’un esprit sage, d’une conduite mesurée, marchait contre lui en Saxe, à la tête d’une forte armée que le ministère avait encore renforcée d’une partie de celle du maréchal de Richelieu. Cette armée était jointe à celle des cercles, commandée par le prince d’Hildbourghausen.

(Novembre 1757) Frédéric, entouré de tant d’ennemis, prit le parti d’aller mourir, les armes à la main, dans les rangs de l’armée du prince de Soubise ; et cependant il prit toutes les mesures pour vaincre. Il alla reconnaître l’armée de France et des cercles, et se retira d’abord devant elle pour prendre une position avantageuse. Le prince d’Hildbourghausen voulut absolument attaquer. Son sentiment devait prévaloir, parce que les Français n’étaient qu’auxiliaires. On marcha près de Rosbach et de Mersbourg à l’armée prussienne, qui semblait être sous ses tentes. Voilà tout d’un coup les tentes qui s’abaissent ; l’armée prussienne

    Sous le joug de l’adversité,
    J’accourcis le temps arrêté
    Que la nature, notre mère,
    À mes jours remplis de misère
    A daigné prodiguer par libéralité.
    ............
    ............
    Je disais au matin, les yeux couverts de pleurs :
    Le jour dans peu va renaître
    M’annonçant de nouveaux malheurs.
    Je disais à la nuit : Tu vas bientôt paraître
    Pour éterniser ma douleur.
    Vous, de la liberté héros que je révère,
    Ô mânes de Caton, ô mânes de Brutus,
    Votre illustre exemple m’éclaire !…

    Puis, ayant recommandé sa mémoire à d’Argens :

    Chaque printemps,


    disait-il pour finir,

    Chaque printemps,de fleurs écloses
    Souviens-toi d’orner mon tombeau.

    Non-seulement d’Argens, mais aussi Voltaire, lui écrivirent pour combattre son projet, et les remontrances de ces amis opérerent si bien qu’à la veille de la bataille de Rosbach il ne rêvait plus la mort que glorieuse :

    Pour moi, menacé du naufrage.
    Je veux, en affrontant l’orage,
    Penser, vivre et mourir en roi.

    C’est ainsi qu’il écrit à Voltaire. Encore une fois, c’est dans la Correspondance qu’il faut lire toute cette histoire héroïque. Voltaire y joua le rôle de confident et celui d’intermédiaire. Il fut chargé par Frédéric de proposer la paix. (G. A.)

  1. Charles de Rohan, prince de Soubise, né peu de temps avant la mort de Louis XIV. Il s’était distingué à Fontenoy ; mais les Prussiens lui durent la victoire de Rosbach ; voyez la lettre de Voltaire à d’Argental, du 2 décembre 1757. (Cl.)