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C’est un prodige qu’on ne peut attribuer qu’à la discipline de ses troupes, et à la supériorité du capitaine. Le hasard peut faire gagner une bataille ; mais quand le faible résiste aux forts sept années dans un pays tout ouvert, et répare les plus grands malheurs, ce ne peut être l’ouvrage de la fortune. C’est en quoi cette guerre diffère de toutes celles qui ont jamais désolé le monde.

On a déjà vu[1] que le second roi de Prusse était le seul prince de l’Europe qui eût un trésor, et le seul qui, ayant mis dans ses armées une vraie discipline, avait établi une puissance nouvelle en Allemagne. On a vu[2] combien les préparatifs du père avaient enhardi le fils à braver seul la puissance autrichienne, et à s’emparer de la Silésie.

L’impératrice-reine attendait que les conjonctures lui fournissent les moyens de rentrer dans cette province. C’eût été autrefois un objet indifférent pour l’Europe qu’un petit pays annexé à la Bohême appartînt à une maison ou à une autre ; mais la politique s’étant raffinée plus que perfectionnée en Europe, ainsi que tous les autres objets de l’esprit humain, cette petite querelle a mis sous les armes plus de cinq cent mille hommes. Il n’y eut jamais tant de combattants effectifs, ni dans les croisades, ni dans les irruptions des conquérants de l’Asie. Voici comment cette nouvelle scène s’ouvrit.

Élisabeth, impératrice de Russie, était liée avec l’impératrice Marie-Thérèse par d’anciens traités, par l’intérêt commun qui les unissait contre l’empire ottoman, et par une inclination réciproque. Auguste III[3] roi de Pologne et électeur de Saxe, réconcilié avec l’impératrice-reine et attaché à la Russie, à laquelle il devait le titre de roi de Pologne, était intimement uni avec ces deux souveraines. Ces trois puissances avaient chacune leurs griefs contre le roi Frédéric III[4] de Prusse. Marie-Thérèse voyait la Silésie arrachée à sa maison. Auguste et son conseil souhaitaient un dédommagement pour la Saxe, ruinée par le roi de Prusse dans la guerre de 1741, et il y avait entre Élisabeth et Frédéric des sujets de plaintes personnels, qui souvent influent plus qu’on ne pense sur la destinée des États.

Ces trois puissances, animées contre le roi de Prusse, avaient entre elles une étroite correspondance, dont ce prince craignait

  1. Chapitre v, page 192.
  2. Ibid., id.
  3. Voyez les notes, pages 191 et 234.
  4. Voyez, page 253, la note de Voltaire.