Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

allumé dans le nouveau monde. Ce fut alors que toute la politique de l’Europe fut changée. Le roi d’Angleterre appela une seconde fois, du fond du Nord, trente mille Russes qu’il devait soudoyer. L’empire de Russie était l’allié de l’empereur et de l’impératrice-reine de Hongrie. Le roi de Prusse devait craindre que les Russes, les Impériaux, et les Hanovriens, ne tombassent sur lui. Il avait environ cent quarante mille hommes en armes ; il n’hésita pas à se liguer avec le roi d’Angleterre, pour empêcher d’une main que les Russes n’entrassent en Allemagne, et pour fermer de l’autre le chemin aux Français. Voilà donc encore toute l’Europe en armes, et la France replongée dans de nouvelles calamités qu’on aurait pu éviter si on pouvait se dérober à sa destinée.

Le roi de France eut avec facilité et en un moment tout l’argent dont il avait besoin, par une de ces promptes ressources qu’on ne peut connaître que dans un royaume aussi opulent que la France. Vingt places nouvelles de fermiers généraux et quelques emprunts suffirent pour soutenir les premières années de la guerre : facilité funeste qui ruina bientôt le royaume.

On feignit de menacer les côtes de l’Angleterre. Ce n’était plus le temps où la reine Élisabeth, avec le secours de ses seuls Anglais, ayant l’Écosse à craindre, et pouvant à peine contenir l’Irlande, soutint les prodigieux efforts de Philippe II. Le roi d’Angleterre George II se crut obligé de faire venir des Hanovriens et des Hessois pour défendre ses côtes. L’Angleterre, qui n’avait pas prévu cette suite de son entreprise, murmura de se voir inondée d’étrangers ; plusieurs citoyens passèrent de la fierté à la crainte, et tremblèrent pour leur liberté.

Le gouvernement anglais avait pris le change sur les desseins de la France : il craignait une invasion, et il ne songeait pas à l’île de Minorque, ce fruit de tant de dépenses prodiguées dans l’ancienne guerre de la succession d’Espagne.

Les Anglais avaient pris, comme on a vu[1], Minorque sur l’Espagne : la possession de cette conquête, assurée par tous les traités, leur était plus importante que Gibraltar, qui n’est point un port, et leur donnait l’empire de la Méditerranée. Le roi de France envoya dans cette île, sur la fin d’avril (1756[2]), le maréchal duc de Richelieu avec environ vingt bataillons, escortés d’une douzaine de vaisseaux du premier rang, et quelques fré-

  1. Tome XIV, page 379, et, ci-dessus, page 204.
  2. Le 10 avril.