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n’a jamais commise dans des contrats entre particuliers. Des démêlés ont résulté nécessairement de cette omission. Si la philosophie et la justice se mêlaient des querelles des hommes, elles leur feraient voir que les Français et les Anglais se disputaient un pays sur lequel ils n’avaient aucun droit ; mais ces premiers principes n’entrent point dans les affaires du monde. Une pareille dispute, élevée entre de simples commerçants, aurait été apaisée en deux heures par des arbitres ; mais entre des couronnes il suffit de l’ambition ou de l’humeur d’un simple commissaire pour bouleverser vingt États. On accusait les Anglais de ne chercher qu’à détruire entièrement le commerce de la France dans cette partie de l’Amérique. Ils étaient très-supérieurs par leurs nombreuses et riches colonies dans l’Amérique septentrionale ; ils l’étaient encore plus sur mer par leurs flottes ; et ayant détruit la marine de France, dans la guerre de 1741, ils se flattaient que rien ne leur résisterait ni dans le nouveau monde, ni sur nos mers ; leurs espérances furent d’abord trompées[1].

Ils commencèrent, en 1755, par attaquer les Français vers le Canada, et, sans aucune déclaration de guerre, ils prirent plus de trois cents vaisseaux marchands comme on saisirait des barques de contrebande ; ils s’emparèrent même de quelques navires des autres nations, qui portaient aux Français des marchandises. Le roi de France, dans ces conjonctures, eut une conduite toute différente de celle de Louis XIV. Il se contenta d’abord de demander justice ; il ne permit pas seulement alors à ses sujets d’armer en course. Louis XIV avait parlé souvent aux autres cours avec supériorité ; Louis XV fit sentir dans toutes les cours la supériorité que les Anglais affectaient. On avait reproché à Louis XIV une ambition qui tendait sur terre à la monarchie universelle ; Louis XV fit connaître la supériorité réelle que les Anglais prenaient sur les mers.

Cependant Louis XV s’assurait quelque vengeance ; ses troupes battaient les Anglais, en 1755[2], vers le Canada ; il préparait dans ses ports une flotte considérable, et il comptait attaquer par terre le roi d’Angleterre George II, dans son électorat d’Hanovre. Cette irruption en Allemagne menaçait l’Europe d’un embrasement

  1. Les Anglais rompirent les négociations pour ne pas laisser aux Français le temps de refaire une marine. Aussitôt la paix d’Aix-la-Chapelle signée, on avait adopté en France le plan de construire, dans l’espace de dix ans, cent onze vaisseaux de ligne, cinquante-quatre frégates, et un nombre proportionné de petits bâtiments. (G. A.)
  2. Le 1er septembre, près du lac Georges.