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(20 juin 1756) Ce fléau semblait devoir faire rentrer les hommes en eux-mêmes, et leur faire sentir qu’il ne sont en effet que des victimes de la mort, qui doivent au moins se consoler les uns les autres. Les Portugais crurent obtenir la clémence de Dieu en faisant brûler des juifs et d’autres hommes dans ce qu’ils appellent un auto-da-fé, acte de foi que les autres nations regardent comme un acte de barbarie[1] ; mais dès ce temps-là même on prenait des mesures dans d’autres parties de l’Europe pour ensanglanter cette terre qui s’écroulait sous nos pieds.

La première catastrophe funeste se passa en Suède. Ce royaume était devenu une république dont le roi[2] n’était que le premier magistrat. Il était obligé de se conformer à la pluralité des voix du sénat : les états, composés de la noblesse, de la bourgeoisie, du clergé, et des paysans, pouvaient réformer les lois du sénat, mais le roi ne le pouvait pas.

(Juin 1756) Quelques seigneurs, plus attachés au roi qu’aux nouvelles lois de la pairie, conspirèrent contre le sénat en faveur du monarque : tout fut découvert ; les conjurés furent punis de mort. Ce qui, dans un État purement monarchique, aurait passé pour une action vertueuse, fut regardé comme une trahison infâme dans un pays devenu libre : ainsi les mêmes actions sont crimes ou vertus selon les lieux ou selon les temps.

Cette aventure indisposa la Suède contre son roi, et contribua ensuite à faire déclarer la guerre (comme nous le verrons) à Frédéric, roi de Prusse, dont la sœur[3] avait épousé le roi de Suède.

Les révolutions que ce même roi de Prusse et ses ennemis préparaient dès lors étaient un feu qui couvait sous la cendre : ce feu embrasa bientôt l’Europe, mais les premières étincelles vinrent d’Amérique.

Une légère querelle entre la France et l’Angleterre, pour quelques terrains sauvages vers l’Acadie, inspira une nouvelle politique à tous les souverains d’Europe. Il est utile d’observer que cette querelle était le fruit de la négligence de tous les ministres qui travaillèrent, en 1712 et 1713, au traité d’Utrecht. La France avait cédé à l’Angleterre, par ce traité, l’Acadie, voisine du Canada, avec toutes ses anciennes limites ; mais on n’avait pas spécifié quelles étaient ces limites ; on les ignorait : c’est une faute qu’on

  1. Comparez les chapitres v et vi de Candide.
  2. Adolphe-Frédéric de Holstein-Euten, proclamé le 6 avril 1751, mort le 13 février 1771. (Cl.)
  3. Louise Ulrique, mariée, en 1744, à Adolphe-Frédéric, morte en 1782.