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Les Marattes, dans ces vastes pays, sont presque les seuls qui soient libres. Ils habitent des montagnes derrière la côte de Malabar, entre Goa et Bombay, dans l’espace de plus de sept cents milles. Ce sont les Suisses de l’Inde, aussi guerriers, moins policés, mais plus nombreux, et par là plus redoutables. Les vice-rois, qui se font souvent la guerre, achètent leur secours, les payent, et les craignent.

La prodigieuse supériorité de génie et de force qu’ont les Européens sur les Asiatiques orientaux est assez prouvée par les conquêtes que nos peuples ont faites chez ces nations, et qu’ils se disputent encore tous les jours. Les Portugais, établis les premiers sur les côtes de l’Inde, portèrent leurs armes et leur religion dans l’étendue de plus de deux mille lieues, depuis le cap de Bonne-Espérance jusqu’à Malaca, ayant des comptoirs et des forts qui se secouraient les uns les autres. Philippe II, maître du Portugal, aurait pu former dans l’Inde une domination aussi avantageuse pour le moins que celle du Pérou et du Mexique ; et, sans le courage et l’industrie des Hollandais, et ensuite des Anglais, le pape aurait donné plus d’évêchés réels dans ces vastes contrées qu’il n’en confère en Italie, et en aurait retiré plus d’argent qu’il n’en lève sur les peuples devenus ses sujets.

On n’ignore pas que les Hollandais sont ceux qui ont les plus grands établissements dans cette partie du monde, depuis les îles de la Sonde jusqu’à la côte de Malabar. Les Anglais viennent après eux. Ils sont puissants sur les deux côtes de la presqu’île de l’Inde et jusque dans le Bengale. Les Français, arrivés les derniers, ont été les plus mal partagés. C’est leur sort dans l’Inde orientale comme dans l’occidentale.

Leur compagnie, établie par Louis XIV, anéantie en 1712, renaissante en 1720, dans Pondichéry, paraissait, ainsi qu’on l’a déjà dit[1], très-florissante ; elle avait beaucoup de vaisseaux, de commis, de directeurs, et même des canons et des soldats ; mais elle n’a jamais pu fournir le moindre dividende à ses actionnaires du produit de son commerce. C’est la seule compagnie commerçante de l’Europe qui soit dans ce cas ; et, au fond, ses action-

  1. Cet ainsi qu’on l’a déjà dit existe dans l’édition de 1768, et conséquemment ne peut se rapporter ni au chapitre lxi de l’Histoire du Parlement, qui est de 1769, ni à l’article ier des Fragments historiques sur l’Inde, qui sont de 1773 ; en parlant de la compagnie des Indes, ci-dessus, page 163, tome XIV, pages 498-499, et encore dans la dix-huitième des Remarques pour servir de supplément à l’Essai sur les Mœurs (voyez dans les Mélanges), Voltaire ne dit rien de son état florissant au milieu du xviiie siècle. (B.)