Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/336

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mière loi écrite, nommé le shasta, antérieure au Veidam, assure que cette loi a quatre mille six cent soixante et six ans d’antiquité dans le temps qu’il la copie. Longtemps avant ce monument, le plus ancien de la terre s’il faut l’en croire, cette loi était consacrée par la tradition et par des hiéroglyphes antiques.

On ne fait d’ordinaire aucune difficulté dans toutes les relations de l’Inde, copiées sans examen les unes sur les autres, de diviser toutes les nations des Indiens en mahométans et en idolâtres : mais il est avéré que les brames et les hanians, loin d’être idolâtres, ont toujours reconnu un seul Dieu créateur, que leurs livres appellent toujours l’Éternel ; ils le reconnaissent encore au milieu de toutes les superstitions qui défigurent leur ancien culte. Nous avons cru, en voyant les figures monstrueuses exposées dans leurs temples à la vénération publique, qu’ils adoraient des diables, quoique ces peuples n’aient jamais entendu parler du diable. Ces représentations symboliques n’étaient autre chose que les emblèmes des vertus. La vertu, en général, est figurée comme une belle femme qui a dix bras pour résister aux vices. Elle porte une couronne ; elle est montée sur un dragon, et tient du premier de ses bras droits une pique dont la pointe ressemble à une fleur de lis. Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans le détail de toutes leurs antiques cérémonies qui se sont conservées jusqu’à nos jours, ni de discuter le Shastabad et le Veidam, ni de montrer à quel point les brames d’aujourd’hui ont dégénéré de leurs ancêtres ; mais quoique leur asservissement aux Tartares, l’horrible cupidité et les débauches des Européans établis sur leurs côtes, les aient rendus pour la plupart fourbes et méchants, cependant l’auteur, qui a vécu si longtemps avec eux, dit que les brames qui n’ont point été corrompus par aucune fréquentation avec les commerçants d’Europe où par les intrigues des cours des nababs, « sont le modèle le plus pur de la vraie piété qu’on puisse trouver sur la face de la terre[1] ».

Le climat de l’Inde est sans contredit le plus favorable à la nature humaine. Il n’est pas rare d’y voir des vieillards de six-

  1. Le grand-prêtre de l’île Shoringham, dans la province d’Arcate, qui justifia le chevalier Lass contre les accusations du gouverneur Dupleix, était un vieillard de cent années, respecté pour sa vertu incorruptible. Il savait le français, et rendit de grands services à la compagnie des Indes. C’est lui qui traduisit l’Ézour-Veidam, dont j’ai remis le manuscrit à la Bibliothèque du roi. (Note de Voltaire.) — Le Lass dont il est question dans la note de Voltaire était neveu de Jean Lass ; voyez l’article III des Fragments sur l’Inde. Sur l’Ézour-Veidam, voyez ma note au chapitre XIII de la Défense de mon oncle, dans les Mélanges. (B.)