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vaisseaux (juin 1746). C’était un homme d’un grand courage, d’une politesse et d’une douceur de mœurs que les Français seuls conservent dans la rudesse attachée au service maritime ; mais la force de son corps ne secondait pas celle de son âme. (Septembre) Il mourut de maladie sur le rivage barbare de Chiboctou[1], après avoir vu sa flotte dispersée par des tempêtes. C’est lui dont la veuve s’est fait dans Paris une si grande réputation par ses vertus courageuses, et par la constance d’une âme forte, qualité rare en France[2].

Un des plus grands avantages que les Anglais eurent sur mer fut le combat naval de Finistère[3] (16 mai 1747), combat où ils prirent six gros vaisseaux de roi, et sept de la compagnie des Indes armés en guerre, dont quatre se rendirent dans le combat et trois autres ensuite ; le tout portant quatre mille hommes d’équipage.

Londres est remplie de négociants et de gens de mer, qui s’intéressent beaucoup plus aux succès maritimes qu’à tout ce qui se passe en Allemagne ou en Flandre. Ce fut dans la ville un transport de joie inouï quand on vit arriver dans la Tamise le même vaisseau le Centurion, si fameux par son expédition autour du monde ; il apportait la nouvelle de la bataille de Finistère gagnée par ce même Anson, devenu à juste titre vice-amiral général, et par l’amiral Warren. On vit arriver vingt-deux chariots chargés de l’or, de l’argent, et des effets pris sur la flotte de France. La perte de ces effets et de ces vaisseaux fut estimée plus

  1. Les éditions originales (de 1768, in-8o), 1769, in-12 ; l’édition in-4o et l’édition encadrée de 1775, portent : «… après avoir vu sa flotte dispersée par une violente tempête. Plusieurs vaisseaux périrent ; d’autres, écartés au loin, tombèrent entre les mains des Anglais.

    « Cependant il arrivait souvent que des officiers habiles, qui escortaient les flottes marchandes françaises, savaient les conduire en sûreté, malgré les nombreuses flottes ennemies.

    « On en vit un exemple heureux dans les manœuvres de M. Dubois de La Motte, alors capitaine de vaisseau, qui, conduisant un convoi d’environ quatre-vingts voiles aux îles françaises de l’Amérique, attaqué par une escadre entière, sut en attirant sur lui tout le feu des ennemis, leur dérober le convoi, le rejoindre, et le conduire au Fort-Royal, à Saint-Domingue, combattre encore, et ramener plus de soixante voiles en France ; mais il fallait bien qu’à la longue la marine anglaise anéantît celle de France et ruinât son commerce.

    « Un des plus grands avantages, etc. »

    Le texte actuel est posthume. (B.)

  2. Louise-Élisabeth de La Rochefoucauld, née en 1710, mariée, en 1732 à Jean-Baptiste-Louis-Frédéric de Roie de La Rochefoucauld, créé duc d’Enville en considération de ce mariage. Voltaire était en correspondance avec elle (Cl.)
  3. Cap de la Galice.