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fatigables, formés à la plus grande discipline. Ils couchaient en plein champs, couverts d’un simple manteau, et souvent sur la neige. La plus sauvage nourriture leur suffisait. Il n’y avait pas quatre malades alors par régiment dans leur armée. Ce qui pouvait encore rendre ce secours plus important, c’est que les Russes ne désertent jamais. Leur religion, différente de toutes les communions latines, leur langue, qui n’a aucun rapport avec les autres, leur aversion pour les étrangers, rendent inconnue parmi eux la désertion, qui est si fréquente ailleurs. Enfin c’était cette même nation qui avait vaincu les Turcs et les Suédois ; mais les soldats russes, devenus si bons, manquaient alors d’officiers. Les nationaux savaient obéir, mais leurs capitaines ne savaient pas commander ; et ils n’avaient plus ni un Munich, ni un Lascy, ni un Keith, ni un Lowendal à leur tête.

Tandis que le maréchal de Saxe assiégeait Mastricht, les alliés mettaient toute l’Europe en mouvement. On allait recommencer vivement la guerre en Italie, et les Anglais avaient attaqué les possessions de la France en Amérique et en Asie. Il faut voir les grandes choses qu’ils faisaient alors avec peu de moyens dans l’ancien et le nouveau monde.


CHAPITRE XXVII.

VOYAGE DE L’AMIRAL ANSON AUTOUR DU GLOBE[1].


La France ni l’Espagne ne peuvent être en guerre avec l’Angleterre que cette secousse donnée à l’Europe ne se fasse sentir aux extrémités du monde. Si l’industrie et l’audace de nos nations modernes ont un avantage sur le reste de la terre et sur toute l’antiquité, c’est par nos expéditions maritimes. On n’est pas assez étonné peut-être de voir sortir des ports de quelques petites provinces, inconnues autrefois aux anciennes nations civilisées, des

  1. George Anson était mort le 6 juin 1762, et ce chapitre, qui parut en 1768, ne dut pas être composé avant 1765. La famille de l’amiral, ayant lu ce morceau dans une des éditions de 1768 ou 1769, envoya à l’historien, en signe de reconnaissance, une belle médaille d’or frappée à l’effigie de l’illustre voyageur. Voltaire décrit cette médaille dans sa lettre du 14 juin 1769, à Thieriot, et dans celle du 7 juillet suivant, à d’Argental. (Cl.)