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petites frégates qui abordèrent heureusement sur la côte occidentale d’Écosse, où ce prince était descendu quand il commença cette entreprise malheureuse. On le chercha inutilement dans ce pays et dans plusieurs îles voisines de la côte du Lochaber. Enfin, le 29 septembre, le prince arriva par des chemins détournés, et au travers de mille périls nouveaux, au lieu où il était attendu. Ce qui est étrange, et ce qui prouve bien que tous les cœurs étaient à lui, c’est que les Anglais ne furent avertis ni du débarquement, ni du séjour, ni du départ de ces deux vaisseaux. Ils ramenèrent le prince jusqu’à la vue de Brest ; mais ils trouvèrent vis-à-vis le port une escadre anglaise. On retourna alors en haute mer, et on revint ensuite vers les côtes de Bretagne, du côté de Morlaix. Une autre flotte anglaise s’y trouve encore ; on hasarda de passer à travers les vaisseaux ennemis ; et enfin le prince, après tant de malheurs et de dangers, arriva, le 10 octobre 1746, au port de Saint-Pol-de-Léon, avec quelques-uns de ses partisans échappés comme lui à la recherche des vainqueurs. Voilà où aboutit une aventure qui eût réussi dans les temps de la chevalerie, mais qui ne pouvait avoir de succès dans un temps où la discipline militaire, l’artillerie, et surtout l’argent, décident de tout à la longue.

Pendant que le prince Édouard avait erré dans les montagnes et dans les îles d’Écosse, et que les échafauds étaient dressés de tous côtés pour ses partisans, son vainqueur, le duc de Cumberland, avait été reçu à Londres en triomphe ; le parlement lui assigna vingt-cinq mille pièces de rente, c’est-à-dire environ cinq cent cinquante mille livres, monnaie de France, outre ce qu’il avait déjà. La nation anglaise fait elle-même ce que font ailleurs les souverains.

Le prince Édouard ne fut pas alors au terme de ses calamités, car, étant réfugié en France et se voyant obligé à la fin d’en sortir pour satisfaire les Anglais, qui l’exigèrent dans le traité de paix, son courage, aigri par tant de secousses, ne voulut pas plier sous la nécessité. Il résista aux remontrances, aux prières, aux ordres, prétendant qu’on devait lui tenir la parole de ne le pas abandonner. On se crut obligé de se saisir de sa personne[1]. Il fut ar-

  1. Voltaire, étant à Lunéville, en 1748, s’y occupait de l’Histoire de la guerre de 1741 (voyez l’Avertissement de Beuchot). « Le chapitre concernant les malheurs de la maison de Stuart venait d’être achevé, dit Longchamp (dans ses Mémoires, article xx). Ce morceau était extrêmement pathétique et touchant. M. de Voltaire le lut avec une profonde sensibilité ; et quand il en vint aux détails relatifs à l’infortune du prétendant, il arracha des larmes à toute l’assemblée. Cette lecture était à peine finie qu’on apporta au roi des lettres arrivant de Paris. On lui annon-