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de Cumberland est dans l’île[1]. Le prince et ses amis furent obligés de passer la nuit dans un marais pour se dérober à une poursuite si opiniâtre. Ils hasardèrent au point du jour de rentrer dans leur petite barque, et de se remettre en mer sans provisions et sans savoir quelle route tenir. À peine eurent-ils vogué deux milles qu’ils furent entourés de vaisseaux ennemis.

Il n’y avait plus de salut qu’en échouant entre des rochers sur le rivage d’une petite île déserte et presque inabordable. Ce qui, en d’autres temps, eût été regardé comme une des plus cruelles infortunes, fut pour eux leur unique ressource. Ils cachèrent leur barque derrière un rocher, et attendirent dans ce désert que les vaisseaux anglais lussent éloignés, ou que la mort vînt finir tant de désastres. Il ne restait au prince, à ses amis, et aux matelots, qu’un peu d’eau-de-vie pour soutenir leur vie malheureuse. On trouva par hasard quelques poissons secs, que des pêcheurs, poussés par la tempête, avaient laissés sur le rivage. On rama d’île en île, quand les vaisseaux ennemis ne parurent plus. Le prince aborde dans cette même île de West[2] où il était venu prendre terre lorsqu’il arriva de France. Il y trouve un peu de secours et de repos ; mais cette légère consolation ne dura guère. Des milices du duc de Cumherland arrivèrent au bout de trois jours dans ce nouvel asile. La mort ou la captivité paraissait inévitable.

Le prince, avec ses deux compagnons, se cacha trois jours et trois nuits dans une caverne. Il fut encore trop heureux de se rembarquer et de fuir dans une autre île déserte, où il resta huit jours avec quelques provisions d’eau-de-vie, de pain d’orge, et de poisson salé. On ne pouvait sortir de ce désert et regagner l’Écosse qu’en risquant de tomber entre les mains des Anglais, qui bordaient le rivage ; mais il fallait ou périr par la faim ou prendre ce parti.

Ils se remettent donc en mer, et ils abordent pendant la nuit. Ils erraient sur le rivage, n’ayant pour habits que des lambeaux déchirés de vêtements à l’usage des montagnards. Ils rencontrèrent au point du jour une demoiselle à cheval, suivie d’un jeune domestique. Ils hasardèrent de lui parler[3]. Cette demoiselle était de la maison de Macdonald, attachée aux Stuarts. Le prince,

  1. Il n’y avait pas de détachement. Ce fut la population qui se souleva pour repousser le prétendant.
  2. Ou mieux, South-Vist.
  3. Les détails que Voltaire donne ici ne sont pas tout à fait exacts. (G. A.)