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pas eu de grandes suites ; mais à Culloden, une action entre onze mille homme d’un côté, et sept à huit mille de l’autre, décida du sort de trois royaumes. Il n’y eut pas dans ce combat neuf cents hommes de tués parmi les rebelles, car c’est ainsi que leur malheur les a fait nommer en Écosse même. On ne leur fit que trois cent vingt prisonniers. Tout s’enfuit du côté d’Inverness, et y fut poursuivi par les vainqueurs. Le prince, accompagné d’une centaine d’officiers, fut obligé de se jeter dans une rivière, à trois milles d’Inverness, et de la passer à la nage. Quand il eut gagné l’autre bord, il vit de loin les flammes au milieu desquelles périssaient cinq ou six cents montagnards, dans une grande à laquelle le vainqueur avait mis le feu, et il entendit leurs cris.

Il y avait plusieurs femmes dans son armée : une entre autres, nommée Mme  de Seford, qui avait combattu à la tête des troupes de montagnards qu’elle avait amenées ; elle échappa à la poursuite ; quatre autres furent prises. Tous les officiers français furent faits prisonniers de guerre, et celui qui faisait la fonction de ministre de France auprès du prince Édouard se rendit prisonnier dans Inverness. Les Anglais n’eurent que cinquante hommes de tués et deux cent cinquante-neuf de blessés dans cette affaire décisive[1].

Le duc de Cumberland fit distribuer cinq mille livres sterling (environ cent quinze mille livres de France) aux soldats : c’était un argent qu’il avait reçu du maire de Londres ; il avait été fourni par quelques citoyens, qui ne l’avaient donné qu’à cette condition. Cette singularité prouvait encore que le parti le plus riche devait être victorieux. On ne donna pas un moment de relâche aux vaincus ; on les poursuivit partout. Les simples soldats se retiraient aisément dans leurs montagnes et dans leurs déserts. Les officiers se sauvaient avec plus de peine : les uns étaient trahis et livrés ; les autres se rendaient eux-mêmes, dans l’espérance du pardon. Le prince Édouard, Sullivan, Sheridan, et quelques-uns de ses adhérents, se retirèrent d’abord dans les ruines du fort Auguste, dont il fallut bientôt sortir[2]. À mesure qu’il s’éloignait, il voyait diminuer le nombre de ses amis. La division se mettait parmi eux, et ils se reprochaient l’un à l’autre leurs malheurs ; ils s’aigrissaient dans leurs contestations sur les partis qu’il fallait prendre ; plusieurs se retirèrent : il ne lui resta

  1. Voltaire passe sous silence le massacre que les Anglais firent des prisonniers et des blesses. (G. A.)
  2. Le prince ne se retira pas au fort d’Auguste, mais à Invergary.