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trop de temps, et dont l’appareil seul eût averti les escadres anglaises de s’opposer au débarquement. Ils prétendaient qu’on pourrait débarquer huit ou dix mille hommes et du canon pendant la nuit ; qu’il ne fallait que des vaisseaux marchands et quelques corsaires pour une telle tentative ; et ils assuraient que, dès qu’on serait débarqué, une partie de l’Angleterre se joindrait à l’armée de France, qui bientôt pourrait se réunir auprès de Londres avec les troupes du prince. Ils faisaient envisager enfin une révolution prompte et entière. Ils demandèrent pour chef de cette entreprise le duc de Richelieu, qui, par le service rendu dans la journée de Fontenoy[1] et par la réputation qu’il avait en Europe, était plus capable qu’un autre de conduire avec vivacité cette affaire hardie et délicate. Ils pressèrent tant qu’on leur accorda enfin ce qu’ils demandaient. Lally, qui depuis fut lieutenant général, et qui a péri d’une mort si tragique[2], était l’âme de l’entreprise. L’écrivain de cette histoire, qui travailla longtemps avec lui, peut assurer qu’il n’a jamais vu d’homme plus zélé, et qu’il ne manqua à l’entreprise que la possibilité. On ne pouvait se mettre en mer vis-à-vis des escadres anglaises, et cette tentative fut regardée à Londres comme absurde.

On ne put faire passer au prince que quelques petits secours d’hommes et d’argent, par la mer Germanique et par l’est de l’Écosse. Le lord Drummond, frère du duc de Perth, officier au service de France, arriva heureusement avec quelques piquets de trois compagnies du régiment royal-écossais. Dès qu’il fut débarqué à Montrose, il fit publier[3] qu’il venait par ordre du roi de France secourir le prince de Galles, régent d’Écosse, son allié, et faire la guerre au roi d’Angleterre, électeur d’Hanovre. Alors les troupes hollandaises, qui par leur capitulation ne pouvaient servir contre le roi de France, furent obligées de se conformer à cette loi de la guerre, si longtemps éludée[4]. On les fit repasser en Hollande, tandis que la cour de Londres faisait revenir six mille Hessois à leur place. Ce besoin de troupes étrangères était un aveu du danger que l’on courait. Le prétendant faisait répandre dans le nord et dans l’occident de l’Angleterre de nouveaux manifestes par lesquels il invitait la nation à se joindre à lui. Il déclarait qu’il traiterait les prisonniers de guerre comme on trai-

  1. Voyez page 244.
  2. Voyez ci-après, chapitre xxxiv.
  3. Voyez ce manifeste, rédigé par Voltaire, dans les Mélanges, à la date de 1743.
  4. Voyez page 290.