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contre lui : on l’accusa devant une cour martiale de n’avoir pas pris assez de mesures ; mais il fut justifié, et il demeura constant que les véritables raisons qui avaient décidé de la bataille étaient la présence d’un prince qui inspirait à son parti une confiance audacieuse, et surtout cette manière nouvelle d’attaquer qui étonna les Anglais. C’est un avantage qui réussit presque toujours les premières fois, et que peut-être ceux qui commandent les années ne songent pas assez à se procurer.

Le prince Édouard, dans cette journée, ne perdit pas soixante hommes. Il ne fut embarrassé dans sa victoire que de ses prisonniers : leur nombre était presque égal à celui des vainqueurs. Il n’avait point de places fortes ; ainsi, ne pouvant garder ses prisonniers, il les renvoya sur leur parole, après les avoir fait jurer de ne point porter les armes contre lui d’une année. Il garda seulement les blessés pour en avoir soin. Cette magnanimité devait lui faire de nouveaux partisans.

Peu de jours après cette victoire, un vaisseau français et un espagnol abordèrent heureusement sur les côtes, et y apportèrent de l’argent et de nouvelles espérances : il y avait, sur ces vaisseaux, des officiers irlandais qui, ayant servi en France et en Espagne, étaient capables de discipliner ses troupes. Le vaisseau français lui amena, le 11 octobre, au port de Montrose, un envoyé[1] secret du roi de France, qui débarqua de l’argent et des armes. Le prince, retourné dans Édimbourg, vit bientôt après augmenter son armée jusqu’à près de six mille hommes[2]. L’ordre s’introduisait dans ses troupes et dans ses affaires. Il avait une cour, des officiers, des secrétaires d’État. On lui fournissait de l’argent de plus de trente milles à la ronde. Nul ennemi ne paraissait ; mais il lui fallait le château d’Édimbourg, seule place véritablement forte qui puisse servir dans le besoin de magasin et de retraite, et tenir en respect la capitale. Le château d’Édimbourg est bâti sur un roc escarpé ; il a un large fossé taillé dans le roc, et des murailles de douze pieds d’épaisseur. La place, quoique irrégu-

  1. C’était un frère du marquis d’Argens, très-connu dans la littérature. Il fut depuis président au parlement d’Aix. (Note de Voltaire.) — Il s’appelait d’Aiguilles. — Le Mémoire de feu M. le président (Boyer) d’Aiguilles sur sa commission en Écosse, adressé au roi Louis XV, n’a été imprimé qu’en 1804, dans le tome Ier des Archives littéraires. (B.)
  2. Ce chiffre, quoi que semble dire ici Voltaire, n’est pas bien gros. Charles-Édouard, en effet, avait pris trop à la lettre les protestations de ses partisans. Les mœurs militaires avaient disparu dans les villes. On se contentait d’applaudir au courage des montagnards, mais on ne s’enrôlait pas. Les plus chauds partisans du prince étaient les dames, qui chantaient : « Charlie, mon mignon. » (G. A.)