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contrèrent trois vaisseaux de guerre anglais qui escortaient une flotte marchande. Le plus fort de ces vaisseaux, qui était de soixante et dix canons, se sépara du convoi pour aller combattre l’Élisabeth, et, par un bonheur qui semblait présager des succès au prince Édouard, sa frégate ne fut point attaquée. L’Élisabeth et le vaisseau anglais engagèrent un combat violent[1], long, et inutile. La frégate qui portait le petit-fils de Jacques II échappait, et faisait force de voiles vers l’Écosse[2].

Le prince aborda d’abord dans une petite île presque déserte au delà de l’Irlande, vers le cinquante-huitième degré. Il cingle au continent de l’Écosse. (Juin 1745) Il débarque dans un petit canton appelé le Moidart ; quelques habitants, auxquels il se déclara, se jetèrent à ses genoux : « Mais que pouvons-nous faire ? lui dirent-ils ; nous n’avons point d’armes, nous sommes dans la pauvreté, nous ne vivons que de pain d’avoine, et nous cultivons une terre ingrate. — Je cultiverai cette terre avec vous, répondit le prince, je mangerai de ce pain, je partagerai votre pauvreté, et je vous apporte des armes. »

On peut juger si de tels sentiments et de tels discours attendrirent ces habitants. Il fut joint par quelques chefs des tribus de l’Écosse[3]. Ceux du nom de Macdonald, de Lokil, les Camerons, les Frasers, vinrent le trouver.

Ces tribus d’Écosse, qui sont nommées clans dans la langue écossaise, habitent un pays hérissé de montagnes et de forêts dans l’étendue de plus de deux cents milles. Les trente-trois îles des Orcades, et les trente du Shetland, sont habitées par les mêmes peuples qui vivent sous les mêmes lois. L’ancien habit romain militaire s’est conservé chez eux seuls[4], comme on l’a dit au sujet du régiment des montagnards écossais qui combattit à la bataille de Fontenoy. On peut croire que la rigueur du climat et la pauvreté extrême les endurcissent aux plus grandes fatigues ; ils dorment sur la terre, ils souffrent la disette ; ils font de longues marches au milieu des neiges et des glaces. Chaque clan était soumis à son laird, c’est-à-dire son seigneur, qui avait sur eux le droit de

  1. Du moins c’est ce qui m’a été assuré par l’un des chefs de l’entreprise. (Note de Voltaire.)
  2. À bord, il passait pour un jeune prêtre irlandais ; il en portait le costume.
  3. Il y eut quelques hésitations. Quant à la scène racontée plus haut, Voltaire ne l’imagine pas, mais il l’arrange à son goût. (G. A.)
  4. Ce n’est point à l’occasion de la bataille de Fontenoy (voyez ci-dessus, chapitres xv et xvi) que Voltaire rapporte cette circonstance ; c’est dans l’Essai sur les Mœurs, à la fin du chapitre xix. Voyez tome XI, page 278.