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CHAPITRE XXII.

COMBAT D’EXILES FUNESTE AUX FRANÇAIS.


Pour pénétrer en Italie malgré les armées d’Autriche et de Piémont, quel chemin fallait-il prendre ? Le général espagnol La Mina voulait qu’on tirât à Final par ce chemin de la côte du Ponant où l’on ne peut aller qu’un à un[1] ; mais il n’avait ni canons ni provisions : transporter l’artillerie française, garder une communication de près de quarante marches par une route aussi serrée qu’escarpée, où tout doit être porté à dos de mulet ; être exposé sans cesse au canon des vaisseaux anglais ; de telles difficultés paraissaient insurmontables. On proposait la route de Démont et de Coni ; mais assiéger Coni était une entreprise dont tout le danger était connu. On se détermina pour la route du col d’Exiles, à près de vingt-cinq lieues de Nice, et on résolut d’emporter cette place.

Cette entreprise n’était pas moins hasardeuse, mais on ne pouvait choisir qu’entre des périls. Le comte de Belle-Isle saisit avidement cette occasion de se signaler[2] ; il avait autant d’audace pour exécuter un projet que de dextérité pour le conduire : homme infatigable dans le travail du cabinet et dans celui de la campagne. Il part donc, et prend son chemin en retournant vers le Dauphiné, et s’enfonçant ensuite vers le col de l’Assiette, sur le chemin d’Exiles ; c’est là que vingt et un bataillons piémontais l’attendaient derrière des retranchements de pierre et de bois, hauts de dix-huit pieds sur treize pieds de profondeur, et garnis d’artillerie.

Pour emporter ces retranchements le comte de Belle-Isle avait vingt-huit bataillons et sept canons de campagne, qu’on ne put guère placer d’une manière avantageuse. On s’enhardissait à cette entreprise par le souvenir des journées de Montalban et de Château-Dauphin, qui semblaient justifier tant d’audace. Il n’y a jamais d’attaques entièrement semblables, et il est plus difficile encore et plus meurtrier d’attaquer des palissades qu’il faut arracher avec les mains sous un feu plongeant et continu que de

  1. C’est la Corniche.
  2. Son frère, le maréchal, menaçait en même temps les cols de la Stura. (G. A.)