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châteaux, par la capitulation ; et au bout de onze jours elle en fit une nouvelle par laquelle elle fut toute prisonnière de guerre. Elle consistait en douze bataillons, dont dix étaient hollandais.

Après la prise de Namur, il restait à dissiper ou à battre l’armée des alliés. Elle campait alors en deçà de la Meuse, ayant Mastricht à sa droite et Liège à sa gauche. On s’observa, on escarmoucha quelques jours ; le Jar séparait les deux armées. Le maréchal de Saxe avait dessein de livrer bataille ; il marcha aux ennemis le 11 octobre, à la pointe du jour, sur dix colonnes. On voyait du faubourg de Liège, comme d’un amphithéâtre, les deux armées : celle des Français, de cent vingt mille combattants ; l’alliée, de quatre-vingt mille. Les ennemis s’étendaient le long de la Meuse, de Liège à Visé, derrière cinq villages retranchés. On attaque aujourd’hui une armée comme une place avec du canon[1]. Les alliés avaient à craindre qu’après avoir été forcés dans ces villages, ils ne pussent passer la rivière. Ils risquaient d’être entièrement détruits, et le maréchal de Saxe l’espérait.

Le seul officier général que la France perdit en cette journée fut le marquis de Fénelon[2], neveu de l’immortel archevêque de Cambrai. Il avait été élevé par lui, et en avait toute la vertu, avec un caractère tout différent. Vingt années employées dans l’ambassade de Hollande n’avaient point éteint un feu et un emportement de valeur qui lui coûta la vie. Blessé au pied depuis quarante ans, et pouvant à peine marcher, il alla sur les retranchements ennemis à cheval. Il cherchait la mort, et il la trouva. Son extrême dévotion augmentait encore son intrépidité : il pensait que l’action la plus agréable à Dieu était de mourir pour son roi. Il faut avouer qu’une armée composée d’hommes qui penseraient ainsi serait invincible. Les Français eurent peu de personnes de marque blessées dans cette journée. Le fils du comte de Ségur[3] eut la poitrine traversée d’une balle, qu’on lui arracha par l’épine du dos, et il échappa à une opération plus cruelle que la blessure même. Le marquis de Lugeac reçut un coup de feu qui lui fracassa la mâchoire, entama la langue, lui perça les deux joues. Le marquis de Laval, qui s’était distingué à Mesle, le prince de

  1. Si Voltaire fait ici cette remarque, c’est que le maréchal de Saxe avait pourvu chacune des colonnes d’attaque d’une forte batterie qui avançait avec elle : grande nouveauté. (G. A.)
  2. Gabriel-Jacques de Salignac, marquis de Fénelon, était âgé d’environ cinquante-huit ans lorsqu’il fut blesse mortellement à la bataille de Rocoux. (Cl.)
  3. Philippe-Henri, né le 20 janvier 1724, ministre de la guerre et maréchal de France en 1781 ; mort le 8 octobre 1801. (B.)