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ravant était en trois divisions, se pressant par la nature du terrain, devint une colonne longue et épaisse, presque inébranlable par sa masse, et plus encore par son courage ; elle s’avança vers le régiment d’Aubeterre. M. de Lutteaux, premier lieutenant général de l’armée, à la nouvelle de ce danger, accourut de Fontenoy où il venait d’être blessé dangereusement. Son aide de camp le suppliait de commencer par faire mettre le premier appareil à sa blessure : « Le service du roi, lui répondit M. de Lutteaux, m’est plus cher que ma vie. » Il s’avançait avec le duc de Biron à la tête du régiment d’Aubeterre que conduisait son colonel de ce nom. Lutteaux reçoit en arrivant deux coups mortels. Le duc de Biron a un cheval tué sous lui. Le régiment d’Aubeterre perd beaucoup de soldats et d’officiers. Le duc de Biron arrête alors avec le régiment du roi, qu’il commandait, la marche de la colonne par son flanc gauche. Un bataillon des gardes anglaises se détache, avance quelques pas à lui, fait une décharge très-meurtrière, et revient au petit pas se replacer à la tête de la colonne, qui avance toujours lentement sans jamais se déranger, repoussant tous les régiments qui viennent l’un après l’autre se présenter devant elle.

Ce corps gagnait du terrain, toujours serré, toujours ferme. Le maréchal de Saxe, qui voyait de sang-froid combien l’affaire était périlleuse, fit dire au roi, par le marquis de Meuse, qu’il le conjurait de repasser le pont avec le dauphin, qu’il ferait ce qu’il pourrait pour remédier au désordre. « Oh ! je suis bien sûr qu’il fera ce qu’il faudra, répondit le roi, mais je resterai où je suis. »

Il y avait de l’étonnement et de la confusion dans l’armée depuis le moment de la déroute des gardes françaises et suisses. Le maréchal de Saxe veut que la cavalerie fonde sur la colonne anglaise. Le comte d’Estrées y court. Mais les efforts de cette cavalerie étaient peu de chose contre une masse d’infanterie si réunie, si disciplinée, et si intrépide, dont le feu, toujours roulant et toujours soutenu, écartait nécessairement de petits corps séparés. On sait d’ailleurs que la cavalerie ne peut guère entamer seule une infanterie serrée ; le maréchal de Saxe était au milieu de ce feu : sa maladie ne lui laissait pas la force de porter une cuirasse ; il portait une espèce de bouclier de plusieurs doubles de taffetas piqué, qui reposait sur l’arçon de sa selle. Il jeta son bouclier, et courut faire avancer la seconde ligne de cavalerie contre la colonne.

Tout l’état-major était en mouvement. M. de Vaudreuil, major général de l’armée, allait de la droite à la gauche. M. de Puységur,