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CHAPITRE XIII.

BATAILLE DE CONI. CONDUITE DU ROI DE FRANCE. LE ROI DE NAPLES SURPRIS PRÈS DE ROME.


Pour descendre dans le Milanais, il fallait prendre la ville de Coni. L’infant don Philippe et le prince de Conti l’assiégeaient. Le roi de Sardaigne les attaqua dans leurs lignes avec une armée supérieure. Rien n’était mieux concerté que l’entreprise de ce monarque. C’était une de ces occasions où il était de la politique de donner bataille. S’il était vainqueur, les Français avaient peu de ressources, et la retraite était très-difflcile ; s’il était vaincu, la ville n’était pas moins en état de résister dans cette saison avancée, et il avait des retraites sûres. Sa disposition passa pour une des plus savantes qu’on eût jamais vues ; cependant il fut vaincu. Les Français et les Espagnols combattirent comme des alliés qui se secourent, et comme des rivaux qui veulent chacun donner l’exemple. Le roi de Sardaigne perdit près de cinq mille hommes et le champ de bataille. Les Espagnols ne perdirent que neuf cents hommes, et les Français eurent mille deux cents hommes tués ou blessés. Le prince de Conti, qui était général et soldat, eut sa cuirasse percée de deux coups, et deux chevaux tués sous lui : il n’en parla point dans sa lettre au roi ; mais il s’étendait sur les blessures de MM. de La Force, de Senneterre, de Chauvelin, sur les services signalés de M. de Courten, sur ceux de MM. de Choiseul, du Chaila, de Beaupréau, sur tous ceux qui l’avaient secondé, et demandait pour eux des récompenses. Cette histoire ne serait qu’une liste continuelle si on pouvait citer toutes les belles actions qui, devenues simples et ordinaires, se perdent continuellement dans la foule.

Mais cette nouvelle victoire fut encore au nombre de celles qui causent des pertes sans produire d’avantages réels aux vainqueurs. On a donné plus de cent vingt batailles en Europe depuis 1600 ; et, de tous ces combats, il n’y en a pas eu dix de décisifs. C’est du sang inutilement répandu pour des intérêts qui changent tous les jours. Cette victoire donna d’abord la plus grande confiance, qui se changea bientôt en tristesse. La rigueur de la saison, la fonte des neiges, le débordement de la Sture et des torrents, furent plus utiles au roi de Sardaigne que la victoire de Coni ne le fut à