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armes et celle de l’Église. Le prince de Clermont avait eu cette permission du pape Clément XII, qui avait jugé que l’état ecclésiastique devait être subordonné à celui de la guerre dans l’arrière-petit-fils du grand Condé. On insulta le chemin couvert du front de la basse ville, quoique cette entreprise parût prématurée et hasardée ; le marquis de Beauvau, maréchal de camp, qui marchait à la tête des grenadiers de Bourbonnais et de Royal-Comtois, y reçut une blessure mortelle qui lui causa les douleurs les plus vives. Il mourut dans des tourments intolérables, regretté des officiers et des soldats comme capable décommander un jour les armées, et de tout Paris comme un homme de probité et d’esprit. Il dit aux soldats qui le portaient : « Mes amis, laissez-moi mourir, et allez combattre. »

Ypres capitula bientôt (25 juin) ; nul moment n’était perdu. Tandis qu’on entrait dans Ypres, le duc de Boufflers prenait la Kenoque (29 juin) ; et pendant que le roi allait, après ces expéditions, visiter les places frontières, le prince de Clermont faisait le siège de Fumes, qui arbora le drapeau blanc (11 juillet) au bout de cinq jours de tranchée ouverte. Les généraux anglais et autrichiens qui commandaient vers Bruxelles regardaient ces progrès, et ne pouvaient les arrêter. Un corps que commandait le maréchal de Saxe, que le roi leur opposait, était si bien posté et couvrait les sièges si à propos que les succès étaient assurés. Les alliés n’avaient point de plan de campagne fixe et arrêté. Les opérations de l’armée française étaient concertées. Le maréchal de Saxe, posté à Courtrai, arrêtait tous les efforts des ennemis, et facilitait toutes les opérations. Une artillerie nombreuse qu’on tirait aisément de Douai, un régiment d’artillerie de près de cinq mille hommes, plein d’officiers capables de conduire des sièges, et composé de soldats qui sont pour la plupart des artistes habiles, enfin le corps des ingénieurs, étaient des avantages que ne peuvent avoir des nations réunies à la hâte pour faire ensemble la guerre quelques années. De pareils établissements ne peuvent être que le fruit du temps et d’une attention suivie dans une monarchie puissante. La guerre de siège devait nécessairement donner la supériorité à la France.

Au milieu de ces progrès, la nouvelle vient que les Autrichiens ont passé le Rhin du côté de Spire, à la vue des Français et des Bavarois, que l’Alsace est entamée, que les frontières de la Lorraine sont exposées (29 et 30 juin 1744). On ne pouvait d’abord le croire, mais rien n’était plus certain. Le prince Charles, en menaçant plusieurs endroits, et faisant à la fois plus d’une ten-